Après deux mois de semblant de valse-hésitation, le vieux lapin Barnier sorti du chapeau de la dissolution est de ceux qui éclairent vraiment le jeu politique français. J’avoue que je ne pensais pas pouvoir écrire de manière si optimiste après les résultats de ce vote si particulier des législatives, un vote qui a vu le parti qui devait arriver au pouvoir (je parle du RN) se voir voler sa victoire par un Front républicain qui devenait soudain plus important, électoralement parlant, que le Nouveau Front Populaire.
La nouvelle alliance à gauche a soulevé un temps quelques espoirs dans le camp de ceux des électeurs qui espèrent encore qu’il est possible d’arrêter la casse sociale qui est à l’œuvre sans interruption depuis le départ de Jospin : hôpitaux (et santé en général), justice, école, mais aussi la casse économique dans l’industrie, l’agriculture…
Mais le deuxième tour a vu le chantage devenu habituel passer au premier plan : tous contre le RN, il faut éviter l’accession de l’extrême-droite au pouvoir ! La Macronie a entonné le refrain, la gauche a joué les chœurs et le hold-up démocratique a eu lieu : le partie arrivé très largement en tête au soir du premier tour (37% des voix) n’a pas pu être en mesure de composer un gouvernement. Ouf, la France était sauvée : en apparence. Mais les électeurs frontistes s’en souviendront.
Il faut se souvenir aussi que le parti Les Républicains a fait au premier tour des législatives son pire score historique : moins de 7%. C’est pourtant en son sein que Macron a trouvé un premier ministre ! Chapeau l’artiste (et lapin sorti du…) !
Sans la stratégie dite de Front Républicain, ce parti n’aurait eu pratiquement aucun élu à l’Assemblée. Le même constat vaut pour En marche et pour les macronistes : tous laminés, par des triangulaires dans lesquelles le RN et le NFP auraient pris pour l’un les deux tiers des sièges et l’autre le tiers restant. La « discipline républicaine », entendez les voix de gauche, a permis de sauver les sièges des anciens de la sarkozie et des sortants complètement désavoués de la Macronie, battue à plate couture aux européennes et au premier tour des législatives. E. Borne a pu revenir à l’Assemblée grâce aux voix de la gauche !
Il fallait empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir, coûte que coûte. Ce fut chose faite, en apparence. Macron a prétexté les JO pour laisser pourrir la situation. Il aurait pu laisser sa chance à un Premier ministre de gauche (une en l’occurrence), ce groupe composant la force la plus nombreuse à l’Assemblée. Procéder ainsi, c’était jouer le jeu habituel de la 5e République. La France insoumise avait même donné les gages demandés par le chef de l’État et la droite : elle ne participerait pas au gouvernement ! Le discours « tout sauf le RN » était devenu « Tout sauf LFI », diabolisation incroyable sur fond délirant d’accusations d’antisémitisme : les vieilles recettes marchent toujours quand elles sont relayées par des médias de droite et d’extrême-droite (je lisais Il Messaggero tout à l’heure, qui parlait tranquillement d’Europe 1 en « radio d’extrême-droite » appartement à V. Bolloré : c’est bien de voir ce que l’étranger dit de nous)
Mais même un gouvernement de gauche sans LFI était de trop pour Macron. Un gouvernement de gauche aurait pu aller chercher des compromis à partir d’une base d’actions située à gauche, en allant vers le centre : il suffisait juste que les députés macronistes ne votent pas la censure, ceux qui venaient d’être élus par des électeurs de gauche, et de LFI, en nombre important. Mais non, Macron donne les clés à un vrai homme de droite, RN-compatible dans ses déclarations sur l’immigration. Son parti ne s’opposera pas et soutiendra au contraire la politique de Barnier, le RN fera de même. Les choses sont claires désormais. Barnier va aller chercher le compromis sur sa droite…
Quelles leçons tirer de cette séquence politique inédite ?
Première leçon : la fin des illusions du « En même temps ».
Pour ceux qui en doutaient encore, Macron n’a jamais mené aucune politique de gauche, entendons d’inspiration sociale. Son « en même temps » n’a jamais été une synthèse raisonnable, une sorte de syncrétisme politique mais une façade cachant une politique strictement de droite. Au moment de devoir choisir entre gauche et droite, on voit bien vers où il va. Comme on voit bien où se situent ses députés, prêts à censurer toute politique sociale (même vaguement, car ne nous faisons pas d’illusions…) et tout aussi prêts à voter avec le RN sur plein de sujets.
Deuxième leçon : Macron et la droite dite traditionnelle sont parfaitement compatibles avec l’extrême-droite. C’était déjà le cas en 1933 dans un pays voisin, cela a toujours été le cas dans tous les régimes autoritaires de droite (Chili, Portugal, Grèce, Vichy, etc.). Le chantage « nous ou l’extrême-droite » qui a permis de faire réélire ces politiques se solde en « nous et l’extrême-droite », deux mois à peine après le verdict des urnes. En 2017, en 2022 puis en 2024, le slogan des deuxièmes tours a été « Macron ou Le Pen ». Il y en a qui y ont cru. Les masques tombent aujourd’hui : on a Macron (avec son homme de paille Barnier) et Le Pen. Et Macron/Barnier dans la main de Le Pen.
Troisième leçon : Le RN révèle aussi sa véritable identité politique. « Ni gauche ni droite : national » disait Jean-Marie Le Pen. Il y en a qui y croyaient. Mais son programme économique était bien capitaliste, bien contre les services publics, contre l’impôt sur la fortune etc. Simplement ,ses électeurs n’avaient d’yeux que pour le curseur immigration. Identité nationale.
Sa fille a gauchisé son discours pour attirer encore plus de suffrages populaires, ceux des déçus du hollandisme (qui menait une politique de droite) et ceux fuyant aujourd’hui le wokisme (maladie politique bien répandue chez les Verts, le PS et les Insoumis) qui tient lieu de discours de gauche en évitant de parler de lutte des classes et de ravages du capitalisme dans notre société. Marine Le Pen a ainsi attiré encore plus d’électeurs à qui il ne faut pas jeter la pierre. Ce sont des citoyens qui ont de vraies demandes, absolument légitimes et qui croient sincèrement que ce parti joue pour les petites gens. Pour ceux que Barnier vient de nommer les « gens d’en-bas », dans son tout premier discours ?
Mais à l’Assemblée, le RN n’a jamais voté pour les mesures sociales proposées par la gauche, il a toujours été contre. Maintenant, on voit bien ce parti prêt à soutenir un gouvernement Barnier, de droite, « républicain »… Ce masque tombe donc aussi : espérons que les électeurs populaires le voient ! Le RN n’est « Ni de gauche… ni de gauche ! ». Le RN entre dans une grande coalition de droite, qui va se plier à ses désirs et injonctions pour subsister. Ciotti faisant alliance avec le RN était un visionnaire : bravo à lui ! Il a de l’avenir au gouvernement !
Quatrième leçon : la gauche devient la seule véritable opposition, si elle a les ressources intellectuelles et morales pour jouer ce rôle et construire une vraie alternative. Il y a la place pour proposer une vraie alternance politique quand l’alliance RN-LR-Macron aura encore fait descendre l’ascenseur social de quelques étages et creusé encore les déficits.
Encore faut-il qu’elle se dote dès maintenant des outils d’analyse de notre crise politique et construise une politique fiscale juste (pas besoin de plus d’impôts pour cela), orientée vers une réduction des inégalités et une reprise des investissements sociaux qui ne sont pas que des coûts mais des vecteurs de croissance et de bien-être (santé, éducation, police, justice, etc.). Les combats sociétaux (plus d’inclusion, plus de respect des diversités en tous genres), cela viendra avec mais ce n’est pas de ceux-là que sont demandeurs les Français. C’est à des personnes qui semblent prendre en compte leurs vrais problèmes qu’ils ont donné massivement leurs suffrages lors des dernières élections : que la gauche en tire les leçons !
Nous vivons une vraie crise de régime de la Ve République (le régime du scrutin majoritaire à deux tours permet de nier l'expression populaire et il n'y a rien de pire en démocratie) alliée à une vraie recomposition de l’échiquier, avec une urgence à se réarmer intellectuellement pour penser ce moment autrement que du points de vue des petits jeux de personnes ou de partis qui ne sont que des faux-semblants brouillant les pistes. Merci Macron !