Statistiques étranges et consensus scientifique sur le réchauffement humain

Le 01/06/2024 0

Je suis actuellement en phase de rédaction d'un futur ouvrage : Les démocraties totalitaires. Gouverner par la Peur. Vous avez peu en voir quelques accents dans des livraisons précédentes. Aujourd'hui, j'en extrait un passage relatif à  ce que j'appelle le Récit Gaz à effet de serre de la Peur. Dans ce récit, l'homme et son activité sont seuls responsables et doivent changer leur mode de vie radicalement.

Il y a consensus scientifique, on ne discute plus.

 

Je suis bien conscient de devoir prendre mille précautions avant d’aborder ce thème. D’abord parce que je ne suis pas de formation scientifique, ou du moins pas dans une des sciences mobilisées pour décrire le changement climatique et qu’il est hors de question que je sorte de mon champ de compétence.

Ensuite parce que je suis bien conscient également de la difficulté à tenir un discours interrogateur, même critique au sens neutre du terme, sur un domaine qui semble déjà politiquement et médiatiquement intouchable ; c’est prendre le risque au moindre faux pas de discréditer l’ensemble d’une thèse qui ne concerne pas que le climat, loin de là, en étant irrémédiablement catalogué de complotiste. Or, il en faut peu pour cela dans les conditions actuelles d’exercice de la science, des médias et de la démocratie.

Il est impossible pour une chercheur normal d’aller contre ce qui est affirmé comme un consensus.

On va montrer à présent, à travers un exemple précis, qui nous semble à la fois indiscutable sur le plan de notre démonstration et scientifiquement… très discutable, quand à la démarche scientifique suivie, comment se fabrique concrètement ce consensus.

Voici un article paru en 2021 dans Environment Research Letters, au titre éloquent :

Greater than 99% consensus on human caused climate change in the peer-reviewed scientific literature

Mark Lynas, Benjamin Z Houlton and Simon Perry. Published 19 October 2021 • © 2021 The Author(s). Published by IOP Publishing Ltd. Environmental Research Letters, Volume 16, Number 11. doi : 10.1088/1748-9326/ac2966

Les métadonnées de l’éditeur indiquent qu’il a été téléchargé 312766 fois à la date du 1er juin 2024. Il a été repris par 205 médias, blogué par 24, référencé dans 2 sources politiques, publié par 7572 utilisateurs du réseau X, référencé dans 51 pages Wikipédia. Il a donc un rayonnement considérable. À lire cet article, il semble qu’il n’y ait plus de débat possible : le Récit de la peur est confirmé, l’homme est la cause du changement climatique, il n’y a plus qu’à réduire son activité. La conclusion est sans ambigüité :

Notre conclusion est que le consensus scientifique au sens large dépasse probablement de loin les 99 % concernant le rôle des émissions anthropiques de GES dans le changement climatique moderne, et pourrait même atteindre 99,9 %. (…) Il nous semble néanmoins important de continuer à informer la société sur l’état des preuves. Selon le résumé AR6 du GIEC et de nombreuses autres études antérieures, l’atténuation du réchauffement futur nécessite des efforts urgents pour éliminer la combustion de combustibles fossiles et d’autres sources majeures d’émissions anthropiques de gaz à effet de serre.

Comment les différents auteurs ont-ils travaillé ?

Les auteurs ont cherché sur le Web of Science des « articles » en anglais ajoutés entre 2012 et novembre 2020 avec les mots-clés « changement climatique », « changement climatique global » et « réchauffement climatique » pour un total de 88 125 articles. (…)

Compte tenu du grand nombre d'articles trouvés grâce à notre approche, nous avons sous-échantillonné de manière aléatoire 3 000 résumés sur le total de 88 125 articles identifiés lors de notre recherche

Les articles sont dépouillés et la nature et la force de leur adhésion à la thèse du réchauffement climatique dû à des facteurs humains est appréciée en attitudes différentes, entre lesquelles les articles sont répartis :

Niveau d'approbation

Description

(1) Approbation explicite avec quantification

Déclare explicitement que les humains sont la principale cause du récent réchauffement climatique

(2) Approbation explicite sans quantification

Déclare explicitement que les humains sont à l’origine du réchauffement climatique ou fait référence au réchauffement climatique/changement climatique anthropique comme un fait connu.

(3) Approbation implicite

Cela implique que les humains sont à l’origine du réchauffement climatique. par exemple. la recherche suppose que les émissions de gaz à effet de serre provoquent le réchauffement sans déclarer explicitement que les humains en sont la cause

(4a) Aucune position

N’aborde ni ne mentionne la cause du réchauffement climatique

(4b) Incertain

Exprime la position selon laquelle le rôle de l'homme dans le récent réchauffement climatique est incertain/indéfini

(5) Rejet implicite

Cela implique que les humains ont eu un impact minimal sur le réchauffement climatique sans le dire explicitement. par exemple. proposer un mécanisme naturel est la principale cause du réchauffement climatique

(6) Rejet explicite sans quantification

Minimise ou rejette explicitement le fait que les humains sont à l'origine du réchauffement climatique

(7) Rejet explicite avec quantification

Déclare explicitement que les humains sont responsables de moins de la moitié du réchauffement climatique


Les articles ont aussi été classés selon leur thématique principale :

Catégorie

Description

(1) Incidences

Effets et impacts du changement climatique sur l'environnement, les écosystèmes ou l'humanité

(2) Méthodes

Focus sur les mesures et les méthodes de modélisation, ou sur la science climatique fondamentale non incluse dans les autres catégories

(3) Atténuation

Recherche sur la réduction des émissions de CO2 ou des niveaux de CO2 atmosphériques

(4) Non lié au climat

Sciences sociales, éducation, recherche sur les opinions des citoyens sur le climat

(5) Avis

Articles non évalués par des pairs

(6) Paléoclimat

Examiner le climat à l’époque préindustrielle


Voici les résultats :

Changement clim

En fait, sur les 3000 articles présélectionnés, il y avait des faux positifs, des articles comprenant les mots-clés mais qui étaient consacrés au climat d’un point de vue sciences humaines. On doit admettre faute de pouvoir vérifier. Restent 2718 articles.

Camembert climat

On voit que 1869 articles sur 2718 ne prennent pas position: cela veut dire "n'abordent ni ne mentionnent les causes du réchauffement climatique" ; 417 opèrent une approbation implicite  : cela veut dire qu'on n'en parle pas explicitement mais qu'on peut comprendre que les humains sont la cause ;  428 (409 +19) approuvent explicitement. Les rejets complets sont faibles mais non inexistants, au nombre de 4.  

Le pourcentage d’approbation explicite est donc de 428/2718, soit 15,7% ;

Le pourcentage d’approbation implicite - mais le concept est bien sujet à interprétation, est de 417/2718, soit 15,3%. Le pourcentage total maximil d'ahésion  est donc de 31% des articles, qui approuvent l’origine humaine du réchauffement, quand les autres ne se prononcent pas (69%) ou rejettent (1 pour mille).

Comment l’article peut-il titrer que la thèse reçoit 99,9 % de consensus scientifique ? Il devrait titrer : entre 15 et 30% des publications confirment l'origine humaine. Encore faudrait-il savoir si'ils ne font que le citer venant d'autres études ou si c'est un résultat de leur propre démonstration car les effets de circularité sont importants en sciences. Les auteurs se livrent à un autre calcul que le nôtre :

Our estimate of the proportion of consensus papers was 1 − (4/2718) = 99.85%.

Compter les 70 % qui n'abordent même pas  la question comme alimentant le consensus scientifique n’est pas scientifiquement soutenable. On pourrait aussi bien les compter parmi les articles dissensuels et titrer : 69% des études scientifiques ne confirment pas la thèse de l’origine humaine du développement.

La partie appelée Discussion ne soulève aucune question sur cette manière de comptabiliser.

Notre analyse démontre un accord de plus de 99 % dans la littérature scientifique évaluée par des pairs sur le rôle principal des émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant des activités humaines dans le changement climatique moderne (c'est-à-dire depuis la révolution industrielle). Ce résultat fait progresser notre compréhension du consensus scientifique sur le changement climatique, comme en témoigne la littérature scientifique évaluée par des pairs, et fournit des preuves supplémentaires que les déclarations faites par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (voir ci-dessous) reflètent fidèlement le point de vue écrasant de la communauté internationale.

En conclusion, l’article termine par le même type de constat :

Nos résultats confirment, comme cela a été constaté dans de nombreuses autres études antérieures sur cette question, qu’il n’existe pas de débat scientifique significatif parmi les experts sur la question de savoir si le changement climatique est ou non d’origine humaine.

Pourtant, les auteurs ont tout de même trouvé plus de 1000 articles dans le corpus initial de 88125 qui étaient sceptiques ; il les évoque rapidement, mais ils ne figurent pas dans l’échantillon de 3000 tiré aléatoirement. 1000 sur 88125, cela faisait tout de même 1,1%. 4 sur 3000 ne font que 1,3 pour mille. Les articles sceptiques n’ont pas eu de chance au tirage.

Il me semble qu'on a ici un bel exemple de ce que Chomsky appelait La Fabrique du consensus. Mais il parlait des médias dans son livre de 2005. Là, il s'agit de la science qui, nous semble-t-il, prend des libertés avec la rigueur scientifique élémentaire pour plaider une thèse. On tord les chiffres.

Au-delà de l'article, sa production interroge : il a dû être relu par les pairs. Personne n'a vraiment trouvé à redire ? Pusi ce sont les exploitations qui en sont faites, par ceux qui le citent, l'utilisent, le font suivre. Sont-ils allés au-delà du titre ? Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt. Les remerciements sont toutefois intéressants.

Les auteurs souhaitent remercier David Colquhoun pour ses discussions utiles sur la méthodologie statistique. Nous souhaitons également remercier John Cook pour ses commentaires utiles sur une première version, ainsi que Sarah Evanega de l'Alliance for Science. Le soutien à l'Alliance pour la Science est assuré par la Fondation Bill & Melinda Gates.

Un soutien financier de Bill Gates est possible. On n'est pas dans un article lambda mais dans un de ceux qui font l'opinion à en juger par son impact.

 


[1] Greater than 99% consensus on human caused climate change in the peer-reviewed scientific literature

Mark Lynas, Benjamin Z Houlton and Simon Perry. Published 19 October 2021 • © 2021 The Author(s). Published by IOP Publishing Ltd. Environmental Research Letters, Volume 16, Number 11

doi : 10.1088/1748-9326/ac2966

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