1. La menace russe : entre épouvantail et baudruche
La guerre, c’est d’abord des rapports de force entre pays, qui finissent par se traduire en affrontement si une idéologie y pousse et si… les moyens requis sont nécessaires.
Encore une fois, aucune trace dans le discours politique russe d’une volonté expansionniste à l’Ouest. Au-delà de possibles objectifs de politique intérieure, les objectifs de Poutine étaient clairs : (1) annexer officiellement le Donbass et transformer Kherson et Zaporijjia en nouvelles régions russes – des cartes avaient déjà été imprimées en ce sens –, (2) établir un corridor terrestre vers la Crimée, annexée en 2014, et (3) provoquer un changement de régime à Kiev afin d’assurer que l’Ukraine, déchirée entre l’Est et l’Ouest, reste neutre et ne devienne pas un avant-poste de l’OTAN et de l’influence américaine. Aucun discours russe ne va au-delà. Le reste ce sont des fantasmes européens. Des épouvantails que l’on agite.
Si vous trouvez traces d’autres discours, signalez-les en fonction commentaire, c’est là pour ça !
Admettons que Poutine ne joue pas carte sur tables, quand bien même tous les impérialistes ont toujours affiché leurs ambitions territoriales (depuis Rome jusqu’à Hitler ou, récemment Trump du côté du Groenland et de Panama). Il reste le poids des pays, les forces en présence.
Économiquement, en 2023, le produit intérieur brut (PIB) nominal de la Russie était estimé à 2 064 milliards de dollars américains, la classant au 11ᵉ rang mondial (fr.wikipedia.org). Pour comparer, voici les PIB nominaux de quelques pays européens en 2023 :
- Allemagne : 4 460 milliards de dollars
- Royaume-Uni : 3 340 milliards de dollars
- France : 3 060 milliards de dollars
- Italie : 2 050 milliards de dollars
Ces chiffres montrent que l'économie russe est comparable à celle de l'Italie en termes de PIB nominal, mais reste inférieure à celles de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de la France. Or, pour faire la guerre, il faut d'abord une économie puissante.
En 2024, le budget militaire de la Russie est estimé à 106,6 milliards de dollars, plaçant le pays au quatrième rang mondial en termes de dépenses de défense. L’Allemagne, 51,95 milliards d'euros. La France, autour de 40 milliards, le Royaume uni 67 milliards d'euros. Ces trois pays seuls ont donc un budget militaire qui est 1,5 fois celui de la Russie. Les USA en 2024 ? 886,3 milliards de dollars… 8,7 fois celui de la Russie. Fermez le ban.
La Russie souffre aussi d’un vrai problème pour un pays qui voudrait faire la guerre, sa démographie. La Russie fait face à une crise démographique persistante, caractérisée par une baisse continue de sa population. En 2024, la population russe était estimée à environ 143,8 millions d'habitants, en diminution par rapport aux près de 149 millions enregistrés en 1990. Les projections démographiques suggèrent une poursuite de cette tendance, avec une population potentiellement réduite à entre 133 et 136 millions d'ici 2050. Les pays qui se sont projetés hors de leurs frontières ont toujours été des pays démographiquement dynamiques.
Enfin, et ce n’est pas le moins important des points de vue, il faut avoir une analyse tactique, stratégique. Pour faire la guerre à l’Ukraine, qui est un pays frontalier et où il est donc simple de projeter des armées qui ne se coupent pas de leur base, la Russie a dû mobiliser 190 000 soldats. Et n’est pas parvenue à ses fins face à un pays de seulement 44 millions d’habitants (moitié de l'Allemagne). À titre de comparaison, en 1939, l’Allemagne nazie a envahi la Pologne avec 1,5 million de soldats, appuyés par près de 900 bombardiers et plus de 400 avions de chasse. Deux ans plus tard, lorsqu’elle a lancé son offensive contre l’Union soviétique, il lui a fallu mobiliser trois millions d’hommes – la plus grande force d’invasion de l’histoire –, un effort qui s’est pourtant soldé par un échec.
Quelles forces militaires faudrait-il pour se projeter en Pologne ? En Allemagne, au-delà de ses frontières, en France si loin de ses bases ? Et dans des territoires si peuplés ? Quelles infrastructures, quelle intendance faut-il pour cela ? Irréaliste. La "menace fantôme" pour reprendre un titre de Star Wars ?
Mais pourquoi s’embarrasser d’une analyse fondée sur l’histoire globale et régionale, l’économie politique internationale, les théories de l’impérialisme et les études stratégiques, lorsqu’on peut tout simplement répéter les éléments de langage des uns et des autres ?
C’est ce que font pourtant Macron et d’autres dirigeants européens, dans des analyses complètement hors sol, déconnectées de tout rapport au réel. Et tous les médias français de reprendre toute la journée, sans questionner du tout ce narratif. Sans faire le début de leur travail : ce simple rappel des faits, que j'ai pu faire en 15 minutes à partir de données à portée de quelques clics. Mais ils n'informent plus. Ils sont dans une démarche de propagande. Et demain, après un beau conflit bien sanglant, ces mêmes journalistes volontiers donneurs de leçons se demanderont comment on a pu "marcher à la guerre"...
2. Macron en Paul Déroulède
Après 1870, l’homme de lettres et personnalité politique français Paul Déroulède était mu par le revanchisme antiallemand, la cause de sa vie. Il fallait reprendre la guerre contre cet ennemi. Il n’avait de cesse d’en appeler à en découdre dans une guerre qui serait rapidement terminée. Macron semble en reprendre les habits, lors de son allocution le 5 mars.
https://www.youtube.com/watch?v=Hy1nIxzzT2A
Au-delà de l'Ukraine, la menace russe est là et touche les pays d'Europe, nous touche. La Russie a déjà fait du conflit ukrainien un conflit mondial.
Un conflit mondial ? Alors que c’est une histoire entre deux pays frontaliers ? Sans doute faut-il se souvenir de la thèse – non vérifiée – de la présence de 12000 soldats nord-coréens vers Koursk. Elle suffit pour les Européens à parler depuis novembre 2024 de conflit mondial, à effacer la réalité transfrontalière du conflit.
La Russie du président Poutine viole nos frontières pour assassiner des opposants, manipule les élections en Roumanie, en Moldavie, organise des attaques numériques contre nos hôpitaux pour en bloquer le fonctionnement. La Russie tente de manipuler nos opinions avec des mensonges diffusés sur les réseaux sociaux, au fond elle teste nos limites. Elle le fait dans les airs, en mer, dans l'espace et derrière nos écrans. Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières et la Russie dans le même temps continue de se réarmer (…) Qui peut donc croire dans ce contexte que la Russie d'aujourd'hui s'arrêtera à l'Ukraine ?
Les faits de guerre, ce sont des assassinats d’opposants en dehors de la Russie, au pluriel : lesquels ? Et quand bien même, est-ce une affaire de politique étrangère ou bien une question de politique intérieure ? Macron mélange tout. Le reste, ce sont des cyberattaques difficiles à attester, des soupçons non attestés de manipulations d’élections en Roumanie, des manipulations sur les réseaux sociaux. Diantre ! On est loin des chars russes sont à Paris !
Face à la hauteur de ces « menaces », Macron est prêt à mettre un pays entier en économie de guerre, prêt à partager son parapluie nucléaire (instrument de souveraineté) avec la Pologne (https://www.tf1info.fr/international/parapluie-nucleaire-francais-la-pologne-souhaiterait-pouvoir-avoir-le-doigt-sur-le-bouton-2358109.html ), un pays qui est le porte-avion des USA depuis des années, et encore plus avec Donald Tusk premier mini.
En réaction, la Russie voit le discours de Macron comme une … menace contre la Russie. Logique. On appelle cela l’escalade, la « marche à la guerre ». Au moment où Trump et Poutine redescendent d’un cran, et même de plusieurs.
« Bien sûr, c'est une menace contre la Russie. S'il nous voit comme une menace » et « dit qu'il est nécessaire d'utiliser l'arme nucléaire, de se préparer à utiliser l'arme nucléaire contre la Russie, bien sûr, c'est une menace », a déclaré jeudi lors d'une conférence de presse le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Il a qualifié d'« absurdes » et « délirantes » les accusations selon lesquelles la Russie aurait l'intention d'attaquer l'Europe.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a lui accusé le président français de vouloir « que la guerre continue » en Ukraine, au moment où la Russie et les Etats-Unis font part de leur intention d'avancer en vue de pourparlers de paix. Il a estimé que le discours du chef de l'Etat français était « vraiment extrêmement conflictuel ».
La Ministre allemande des affaires étrangères (une Verte !) Annalena Baerkock voit carrément Moscou marcher sur Varsovie avant de « défiler sous la porte de Brandebourg ».
Ainsi, les mêmes qui assurent que la Russie, malgré l’échec manifeste de son offensive en Ukraine, aurait les moyens de défier l’OTAN et de conquérir l’Union européenne, sont aussi ceux qui, depuis deux ans, répètent que Moscou est sur le point de s’effondrer et que la victoire ukrainienne est à portée de main. Il suffirait, affirment-ils, d’une dernière livraison d’armes occidentales, d’une mobilisation forcée massive et du recrutement économique de la jeunesse ouvrière ukrainienne sous la contrainte. On est en pleine contradiction, mais nos politiques n’en sont pas à une près.
3. L’Europe s’émancipe-t-elle enfin ou fait-elle au contraire encore un pas dans la vassalisation ?
Le 12 février, Sud-Ouest se faisait l’écho de la position de Trump vis-à-vis de l’Europe : https://www.sudouest.fr/societe/defense/otan-trump-veut-des-depenses-militaires-europeennes-a-hauteur-de-5-du-pib-un-objectif-inatteignable-23227545.php
Trump demandait alors aux Européens de porter leur budget militaire à 5%. Sud-Ouest rapportait les analyses d’un think tank anglais : objectif « inatteignable ».
Otan : Trump veut des dépenses militaires européennes à hauteur de 5 % du PIB, un objectif « inatteignable »
Les dépenses militaires des Européens ont augmenté en 2024 mais les demandes du président américain Donald Trump de les porter à 5 % de leur PIB sont « inatteignables à l’heure actuelle », a estimé mercredi un institut britannique spécialisé. Selon le rapport annuel de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), les dépenses militaires en Europe ont progressé de 11,4 % en 2024, propulsées par le soutien apporté à Kiev. Elles sont « 50 % plus élevées qu’il y a dix ans », sans considérer l’inflation.
Inatteignable ? Sauf à endetter encore plus nos pays. Le 12 février, la demande de Trump est jugée irréaliste. Étonnamment, ces derniers jours, Ursula Von der Leyen sort un plan à 800 milliards. Assez exactement le montant demandé par Trump ! Ces 800 milliards européens, c’est le chiffre de Trump. Le PIB de l’Union européenne est de 17 000 milliards d’euros. Dès lors, 5 % de ce PIB européen c’est donc bien 850 milliards d’euros. Miracle !
Pour bien comprendre ce que veut dire la demande/ordre de Donald Trump de passer à 5 % de la richesse produite par l’Union pour acheter des armes, il faut bien se souvenir qu’il s’agira prioritairement d’armes produites par les USA. Au cours des cinq dernières années, 55 % des importations d’armes en Europe provenaient des États-Unis, contre 35 % dans la période 2014-2018. Y aurait-il une secrète entente entre les droites européennes au pouvoir quasi partout et la droite américaine pour en finir avec les acquis sociaux, tout en affichant des divisions de surface ? On est d'accord : mon hypothèse, invérifiable, est tout à fait complotiste ! Mais même sans supposer une entente secrète, elle correspond à des faits.
Ce budget militaire européen mais en fait « trumpien », c’est quatre fois et demie le budget annuel de l’Union européenne : 189 milliards en 2024. C’est quinze fois le budget de la Politique agricole commune. Ou bien cinquante-deux fois le budget européen de l’aide humanitaire (actuellement 16 milliards par an). Ou encore soixante-trois fois le budget européen de recherche (13,5 milliards par an).
Il va falloir emprunter, et pas qu’un peu. C’est aux États de fournir l’essentiel. Ils sont autorisés à dépenser 650 milliards sur leur propre budget. Et pour cela, ils ont le droit de s’endetter davantage. Von der Leyen permet 1,5 % au-delà de la sacro-sainte limite d’hier à 3 %. On n'avait plus d'argent et là on en trouve ! Hôpitaux, tribunaux et universités pourront continuer à dépérir : "puisqu'on vous qu'il n'y a pas d'argent magique" !
Endettons-nous, coûte que coûte pour reprendre l’expression du futur chancelier allemand. L’heure est très grave : la Russie fait des cyberattaques et manipule les réseaux sociaux ! Ensuite, on nous fera cracher au bassinet.
4. Dette et fin des « acquis sociaux ».
Avec l’endettement à venir, c’est le Pentagone et les élites européennes qui nous dirigent (plus qu’elles nous gouvernent) qui demandent ni plus ni moins au Vieux continent de sacrifier ses États-providences sur l’autel de Raytheon, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Rheinmetall et Thalès : l’argent du contribuable ne sera pas perdu pour tout le monde !
Déjà, en France, sans vergogne, la droite en profite pour demander de cesser de réfléchir aux dépenses sociales.
https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/8h30-fauvelle-dely/depenses-militaires-le-conclave-sur-les-retraites-n-a-plus-aucune-raison-d-etre-selon-l-eurodepute-francois-xavier-bellamy_7086753.html#xtor=CS2-765-[share]-
Bravo François-Xavier Bellamy, bel opportunisme ! Il n’est déjà plus temps pour lui de se pencher sur un éventuel infléchissement de la réforme des retraites : économie de guerre d’abord !
Conclusion
Ce n’est pas un peu bizarre, voire contre-nature, que de voir cette droite qui n’a toujours affiché que rigueur budgétaire d’avoir d’abord creusé terriblement le déficit sous Macron/Lemaire, déclaré qu’il faudrait faire des sacrifices… puis accepter soudain de le creuser encore en mettant en avant un risque militaire totalement fantasmatique ? Ce n’est pas la gauche qui est accusée d’habitude de creuser les déficits… pour redistribuer (un peu) les richesses ?
On comprend mieux pourquoi il en est ainsi si c’est bien pour nourrir de capitaux frais le lobby militaro industriel et pour y trouver le prétexte à de nouvelles régressions sociales.
Manichéen, moi ? J’observe juste, je relève des corrélations. Des convergences. Libre à chacun d’interpréter différemment. Les faits me semblent être là. Je suis preneur de faits autres, que je ne verrais pas.
Rions un peu pour finir: à ce jour, la seule puissance impériale qui a des prétentions sur un territoire européen, ce sont les USA qui lorgnent sur le danois Groeland. Que fait-on ? On achète d'urgence des armes à la Russie ?