Il s’agit dans ce deuxième volet de considérer la politique étrangère russe. Obéit-elle aux lubies d’un autocrate ou repose-t-elle sur une doctrine ? Si oui, laquelle ? De quoi se compose la vision russe du monde, de la diplomatie ? La Russie est-elle interventionniste hors de ses frontières ? A-t-elle déjà fait preuve d’un expansionnisme de nature à effrayer les Européens une fois le conflit ukrainien achevé, si celui se terminait par une défaite de l’Ukraine ?
Voici quelques-unes des questions traitées ici. Un portrait ni noir ni blanc, je l’espère. Il commence, du reste, par la liste des interventions russes depuis 1991. Comme je l’ai fait pour les USA.
1. La liste des interventions russes hors des frontières
Après la chute de l'URSS, la Russie s'est effectivement engagée dans plusieurs conflits. Je fournis les liens internet si vous voulez en savoir plus, l’exposé de chaque conflit dépasserait de beaucoup le cadre de ce blog. Ils vous emmèneront vers des sites Wikipedia qui valent ce qu’ils valent mais qui exposent les principaux faits. J’ai extrait chaque fois en quelques lignes ce qui était utile à la compréhension du rôle de la Russie dans le conflit. Après tout, je n’ai pas détaillé plus les conflits des USA. Souvent moins car ils sont plus proches de chez nous, mieux connus.
guerre civile du Tadjikistan (1992-1997) : conflit politique, ethnique et séparatistequi s'est déroulé de à , opposant le « camp communiste »aux « islamo-démocrates », dans l'atmosphère politique, économique et sociale qui suit la dislocation de l'URSS. Le camp communiste est celui des États de la CEI, impliquant donc une présence et un contrôle russe.
conflit en Ossétie du Nord de 1992 : Leconflit en Ossétie du Nord de 1992est unconflit post-soviétiqueentreOssètes etIngouches. SelonHuman Rights Watch, les milices ossètes ont orchestré une campagne denettoyage ethniqueentre octobre et , causant la mort de 600 civils ingouches et l'expulsion d'environ 60 000 habitants ingouches. Les tensions interethniques avaient débuté en 1989. Les troupes russes viennent parfois prêter main forte dans cette politique aux milices ossètes afin de réprimer l'insurrection.
guerre du Dniestr (1992) : elle est aussi appeléeguerre de Transnistrieouguerre civile de Moldavie; elle a opposé en1992l'armée transnistrienne(soutenue par laRussie) auxforces armées moldavessur les berges du fleuveDniestr. LaTransnistriefait partie, avec laCrimée, les régions séparatistes géorgiennes d'Ossétie du Sudet d'Abkhazie,du« glacis géostratégique russe »qui permettrait à Moscou de contrôler économiquement, politiquement et militairement unezone d'influencequ'il qualifie d'exclusive et qui correspond dans les faits à un projet de protection contre les avancées de l'OTAN . C'est dans ce contexte qu'eut lieu cette guerre. Le conflit se solde par uncessez-le-feuet laTransnistriemaintient son indépendancede facto, sous influence russe. Elle y est toujours, et ces jours-ci, on entend à nouveau parler de cet Etat…
première guerre de Tchétchénie (1994-1996) : La première guerre de Tchétchénieoppose les Forces armées de la fédération de Russieet les séparatistesde la Tchétchénie; elle se déroule de 1994 (date du déclenchement de l'offensive militaire russe) à 1996 (date de l'accord de paix de Khassaviourt). En 1991, la Tchétchénie, dirigée par le président Djokhar Doudaïev, proclame son indépendance et refuse de signer, en 1992, le traité constitutif de la fédération de Russie (CEI), après avoir adopté une constitution dans laquelle la Tchétchénie se déclare « État souverain démocratique » avec la suprématie de la Constitution sur son territoire et l'indivisibilité de la souveraineté. Après quelques vaines tentatives pour déstabiliser Doudaïev et réimposer son pouvoir sur la république par l'instauration d'un blocus économique et aérien et par le biais de coups de force en soutenant l'opposition antidoudaevienne, Moscou fait alors intervenir ses troupes. Première guerre, sanglante, de Tchétchénie. La Russie ne parvient pas aisément à contrôler des pays qu’elle veut maintenir dans sa sphère d’influence et utilise la force.
invasion du Daghestan (1999) : sur le territoire de la république autonome russe voisine de Daghestan, du au , cette invasion est considérée comme le début de la seconde guerre de Tchétchénie. Elle oppose l'armée fédérale russeà des rebelles wahhabites. En 1997-1998, la Tchétchénie a servi d'asile politique aux islamistes du Daghestan. Certains d'entre eux ont combattu aux côtés des séparatistes pendant la première guerre de Tchétchénie, d'autres ont participé à l'insurrection du Daghestan salafiste. En 1999, des miliciens se sont infiltrés en petits groupes dans le Daghestan, contrôlant des bases militaires, des dépôts d'armes et des montagnes reculées. Le gouvernement Daghestanais a appelé ensuite les troupes fédérales russes du district militaire du Nord-Caucase afin de mener à grande échelle une opération militaire contre les islamistes. Après les attentats contre des immeubles d'habitations en Russiecommis à la même période, cela a conduit à l'invasion de la Tchétchénie.
seconde guerre de Tchétchénie (1999-2009) : ce conflit armé, suite de l’invasion du Daghestan, oppose l'armée fédérale russeaux indépendantistestchétchènesdu au , jour de la prise de Grozny, la capitale de la république, par les troupes russes.
guerre russo-géorgienne de 2008 : elle oppose, en , la Géorgieà sa province séparatiste d'Ossétie du Sudet à la Russie qui soutient le mouvement séparatiste. Le conflit s'est étendu à une autre province géorgienne séparatiste, l'Abkhazie.La milice des séparatistes sud-ossètes est soutenue et formée par la Russie. Se fondant sur le fait que la grande majorité des Ossètes du Sud ont un passeport russe, le président russe, Dmitri Medvedev, ordonne à ses troupes d'intervenir afin de protéger la population de l'Ossétie du Sud et de contraindre la Géorgie à la paix. Après quatre jours d'avancée rapide des forces russes et de bombardements sur plusieurs villes géorgiennes, Medvedev annonce que ces objectifs sont atteints et que les troupes russes resteront sur les positions définies par l'accord de 1992 pour garantir la paix dans la région. Le , la Russie reconnaît officiellement l'indépendance de l'Ossétie du Sud et l'Abkhazieet se dit prête « à assurer la sécurité de ces deux États ».
guerre du Donbass, depuis 2014. Elle oppose, d'avril 2014 à février 2022, le gouvernement ukrainienà des séparatistes pro-russes et à la Russie, c'est une phase de la guerre russo-ukrainiennese déroulant dans l'Est de l’Ukraine, principalement au Donbass. Entre 2014 et 2020, ce conflit a causé plus de 13 000 morts selon l'Organisation des Nations unies(3 350 civils, 4 100 membres des forces ukrainiennes et 5 650 membres des groupes armés pro-russes) et le déplacement de près d'un million et demi de personnes. Au début d', dans la région du Donbass appartenant à l'Ukraine, composée des oblastsde Donetsket de Louhansk, et dans ses régions limitrophes, les manifestations anti-Maïdanévoluent en insurrection armée des prorusses contre le nouveau gouvernement ukrainien. Cette insurrection armée devient séparatiste et deux entités non reconnues internationalementsont proclamées : la « république populaire de Donetsk » (le ), puis la « république populaire de Lougansk » (le ). Dès le , l'armée ukrainienne intervient dans l'Est du pays. Elle y progresse en juin et juillet avant d'être stoppée, puis de finalement reculer face aux séparatistes. La Russie, pays frontalier, est accusée de soutenir militairement les insurgés en y menant une guerre hybride.
guerre civile syrienne : L'alliance entre la Russieet la Syrieremonte au temps de la guerre froide228. Leur relation débute au milieu des années 1950et se renforce à partir de 1970228. En 1980, Damas et Moscou signent un traité d'amitié, à une période pourtant où Hafez el-Assadécarte l'aile gauche socialistepure et dure du Parti Baaset réprime les communistesdissidents et les nassériens. La Russieentre dans le conflit syrien en septembre 2015 en intervenant militairement pour soutenir le régime syrien. Cette intervention redonne l'avantage au camp loyaliste : l'armée syrienne et ses alliés remportent des victoires décisives à Alepen décembre 2016, à Homsen mai 2017, à Deir ez-Zoren novembre 2017, dans la Ghoutaen mai 2018 et à Deraaen juillet 2018.
La Syrie est le seul des territoires dans lesquels intervient la Russie qui ne fait pas partie de l’ancienne URSS. La Russie n’ est pas totalement hors de sa zone d’influence car elle tient à conserver son unique base navaleméditerranéenneà Tartous, qui accueille en permanence des navires de la flotte militaire russe. La Syrie est le seul pays hors du périmètre de l’ancienne URSS qui accueille une base militaire russe, un reste des accords antérieurs. La Syrie représente également un intérêt économique, ce pays étant en 2011 leur quatrième marché le plus lucratif.
Je n’entre pas plus dans les détails de ces opérations extérieures. Leur point commun est de manifester une volonté de contrôle dans une sphère très particulière pour la vision géopolitique russe : ce qui est appelé l’ « étranger proche ». Aux yeux des Russes, aucune de ces interventions ne manifeste une volonté d’expansion.
Pour comprendre cela, il faut examiner la doctrine étrangère de la Russie, et le concept d’ « étranger proche ».
2. La doctrine étrangère de la Russie
2.1. L’étranger « proche » : la sphère d’influence russe
A la fin de l’URSS, la Russie œuvre activement pour créer un espace de solidarité qui lui permette de conserver une zone d’influence. La Communauté des États indépendants (CEI), composée de neuf des quinze anciennes républiques soviétiques, a été fondée par trois des États fondateurs de l'URSS, la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine.
Ces quatre anciennes républiques de l’URSS occupent ainsi une place centrale dans la reconstruction de la politique internationale russe. Le but primordial de la nouvelle doctrine géostratégique russe relève d'une tentative de reconquête de l'influence prédominante dans cet espace géopolitique, depuis toujours considéré comme une zone d' « intérêt vital », ainsi qu'une zone dans laquelle la limitation de l'influence de l'OTAN est vitale.
La doctrine militaire et géostratégique russe divise en fait le monde en deux catégories distinctes : l'étranger « rapproché » ou « proche » (les anciennes républiques soviétiques, sauf les États baltes) et l'étranger « éloigné » (le reste du monde). Étranger « proche » recouvre ce que l’on appelle en géostratégie une « zone d’influence ». Chaque grande puissance considère en avoir une et ne veut pas que les autres puissances viennent la défier sur ce territoire. La France en avait encore une, en Afrique, jusqu’à une date récente... Les USA, la Russie et la Chine se la disputent à présent. La nature a horreur du vide. Restent Monaco et Andorre.
Dans cet espace « privilégié », les Russes n’entendent pas laisser l’OTAN pousser ses pions.
2.2. L’OTSC, traduction militaire de la notion d’ « étranger proche »
En 1991, un accord est conclu entre les quatre puissances nucléaires de la CEI (la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan) sur l'instauration d'un commandement unique russe des forces nucléaires stratégiques.
En 1992, un pas de plus est accompli dans la volonté de sécurisation avec la création de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), à vocation politico-militaire.
En 1995, la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, la Géorgieet le Kirghizistan signent dans le cadre de la CEI un traité de défense commune des frontières extérieures avec l'établissement de gardes russes sur leurs frontières.
Pour la Russie, le basculement de l’Ukraine dans le camp de l’OTAN est donc vu comme un domino de première importance qui tombe de l’autre côté.
2.3. La défense des minorités russes
Une grande partie de ses interventions militaires est faite au nom de ce principe. On l’a vu illustré en Ossétie, en Transnistrie, et au Donbass.
De grandes diasporas russes vivent dans les anciens États soviétiques, comme l'Ukraine (environ 8 millions), le Kazakhstan (environ 4 millions), la Biélorussie (environ 1 million), l'Ouzbékistan (environ 700 000), la Lettonie (environ 700 000), le Kirghizistan (environ 600 000) et la Moldavie (environ 500 000). En Biélorussie, au Kazakhstan et au Kirghizistan, la langue russe est l'une des langues officielles. Dans chacun de ces pays, la Russie « veille » au respect de ses minorités. Une veille attentive, pour ne pas dire jalouse, et des populations qui sont des relais d’influence de la Russie dans les différents pays.
Conclusion de la partie 2.
Il n’est pas question de considérer que la Russie est un pays non-interventionniste. Il s’agit d’un pays qui, dans l’Histoire récente, n’a pas hésité à sortir de ses frontières et à intervenir chez ses proches voisins. L’a-t-elle fait pour de justes et nobles motifs ? Il est permis d’en douter, la motivation principale restant la préservation des intérêts russes parfois habillés en combat pour préserver les intérêts économiques et militaires (Syrie), les minorités russes (Donbass, Transnistrie).
Mais la Russie n’intervient que dans ce qu’elle considère « l’étranger proche », sa sphère d’influence. On ne voit pas, même dans cette sphère, de politique expansionniste. Cet historique récent est à considérer quand on veut considérer la guerre en Ukraine et les possibles dangers d’une guerre étendue aux autres pays européens ensuite, qui serait sans précédent… et ne correspondrait à aucune doctrine.
C’est ce qui reste à voir en considérant les rapports entre la Russie et l’ « étranger éloigné ».
3. Relations avec l’étranger « éloigné »
3.1. La Russie et l’OTAN
Commençons par envisager les rapports entre la Russie et l’OTAN. Ceci nous mènera jusqu’en 2008, année au cours de laquelle la Russie comprend que la porte d’une réelle intégration dans la communauté internationale se referme. Avant cela, on va le voir, la Russie a réellement pratiqué une politique de main tendue. Vers l’UE mais aussi en direction de l’OTAN.
Pour la reconstituer, je m’appuie sur un rapport du Sénat français, intitulé « Où va la Russie ? »
Rapport d'information n° 416 (2007-2008) de M. Josselin de ROHAN , Mme Josette DURRIEU , MM. Jean-Pierre FOURCADE , Robert HUE , Yves POZZO di BORGO et Roger ROMANI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 25 juin 2008.
Je copie ci-dessous le plan dont je laisse parcourir les principales rubriques, bons outils d’intelligence de la manière dont la France voit alors la Russie : comme un partenaire à choyer dans une optique gagnant-gagnant, pas comme un ennemi héréditaire autant qu’irréductible. La partie II.C. reprend le concept d’étranger proche, qui a été exposé plus haut. Je n’y reviens pas.
On va mettre le focus sur la partie III. A. qui retrace l’histoire des relations entre Russie et OTAN.
À propos de la Russie et de l’OTAN, le rapport décrit la méfiance du voisin oriental :
La délégation a pu constater dans ses différents contacts une tonalité systématiquement négative des responsables russes à l'égard de l'OTAN en général, et de son élargissement en particulier.
L'OTAN demeure essentiellement perçue comme une organisation militaire associée à la guerre froide, regroupant plusieurs centaines de milliers d'hommes et un nombre considérable de matériels.
À l'heure où la Russie peine à maintenir et moderniser son appareil de défense, l'expansion de l'OTAN dans la zone de ses intérêts vitaux entretient des appréhensions, que la délégation a bien ressenties.
Cela concerne, en particulier, l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Alliance atlantique, qui suscite une ferme opposition de la Russie.
Mais la Russie s’était résolument engagée sur la voie d’une coopération avec l’OTAN. Autre extrait :
1. Les progrès de la coopération OTAN/Russie
Après l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, les relations ont franchi une nouvelle étape avec la création, en mai 2002, du Conseil OTAN-Russie au sein duquel la Russie siège sur un pied d'égalité avec chacun des pays de l'Alliance, c'est-à-dire, depuis l'élargissement, dans un format à 27. Il permet de conduire un dialogue politique sur les principaux dossiers de sécurité, mais aussi d'aborder sous un angle concret les préoccupations russes.
On lit dans le rapport des manifestations très concrètes de cette ouverture réelle.
La Russie participe ainsi à l'opération navale de l'OTAN en Méditerranée « Active endeavour » destinée à surveiller le trafic maritime dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
Par ailleurs, la Russie apporte un soutien indirect à la FIAS en Afghanistan. Ainsi, la Russie a accordé aux pays membres de l'Alliance participant à l'opération en Afghanistan des facilités en matière de survol de son territoire, et, lors du Sommet de l'OTAN de Bucarest en avril dernier, des facilités pour le transit terrestre du matériel non militaire à travers son territoire.
On voit que la coopération se fait sur les terrains de la lutte contre le terrorisme, qui était une des missions mises en avant par l’OTAN pour survivre à la disparition de l’adversaire histoire URSS et ne pas se dissoudre. Mais dès 2008, dans ce rapport, on peut lire les traces d’une méfiance qui se renforce :
Si la Russie comme les alliés se disent très attachés à ce partenariat, il n'en demeure pas moins que les relations entre l'OTAN et la Russie se sont fortement dégradées ces dernières années.
L'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN et le projet d'installation d'éléments du système américain de défense anti-missile en Pologne et en République tchèque constituent les deux principaux sujets de différends.
L’Ukraine, la Géorgie reviennent comme les lignes rouges que pose nettement la Russie. Nul ne pourra dire que l’OTAN n’était pas prévenue.
Autre témoignage d’ouverture et de main tendue, la Russie a compris d’autre part qu’elle ne parviendrait pas seule à contrôler l’Asie centrale (avec ses mouvements islamistes) et a ouvert des possibilités aux Américains pour une co-gestion de cet espace : les Américains disposent désormais de bases militaires en Ouzbékistan et au Kirghizstan. Une manière aussi de contrer le dynamisme chinois dans la région.
La dégradation effective des relations vient de la poursuite des objectifs militaires de l’OTAN qui se traduisent par plusieurs actions dont le rapport du Sénat se fait aussi l’écho :
Un deuxième sujet de tension concerne le renforcement des capacités militaires alliées en Europe. La Russie invoque, à l'appui de ses critiques, le stationnement d'avions de combat alliés pour assurer la défense aérienne des pays baltes, alors que ceux-ci, membres de l'OTAN, n'ont pas adhéré au traité FCE, ni au traité FCE adapté et l'installation de bases américaines en Roumanie et en Bulgarie, qui contreviendrait aux engagements de l'Acte fondateur OTAN-Russie de ne pas faire stationner de forces permanentes substantielles de l'Alliance dans les nouveaux pays membres.
Un autre important sujet de contentieux porte sur le projet d'implantation d'un radar en République tchèque et d'intercepteurs en Pologne dans le cadre du système de défense antimissile américain.
Ainsi, le Président Vladimir Poutine, dans son discours prononcé à Munich, le 10 février 2007, a dénoncé l'unilatéralisme des Etats-Unis. Il a contesté la réalité d'une menace balistique et il a mentionné les risques d'une nouvelle course aux armements en Europe.
Une place particulière doit être faite à la question de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN. Le rapport en parle comme d’un « casus belli », qui est déjà sur la table dès 2007-2008 pour les Russes. Les Américains sont donc depuis lingtemps au courant de cette attention particulière. C'est dans ce pays qu'ils ont choisi à partir de 2014 d'installer 12 bases de la CIA.
3. L'entrée de l'Ukraine et de la Géorgie dans l'OTAN : un « casus belli » pour la Russie
L'adhésion éventuelle à l'OTAN de l'Ukraine et de la Géorgie cristallise tous les états d'âme et ressentiments russes à l'égard de cette recomposition majeure du continent européen. Il s'agit en effet, du point de vue russe, de l'aspect le plus douloureux puisque ces pays étaient incorporés à l'URSS, il y a quinze ans encore, et que la Russie a toujours entretenu des liens étroits avec l'Ukraine, où vit une importante minorité russophone.
(…)
La question de l'adhésion éventuelle de l'Ukraine et de la Géorgie a été au centre du Sommet de l'OTAN, qui s'est tenu à Bucarest du 2 au 4 avril derniers.
A partir de 2008, la Russie commence à prendre ses distances avec l’OTAN, considérant que cette organisation joue un double jeu, en renforçant constamment sa dimension militaire et en ne cessant de s’accroitre jusqu’aux frontières de la Russie.
Conclusion :
Je laisse la parole à un article du Monde Diplomatique de septembre 2018 :
Des promesses non tenues qui ont créé un sentiment d’humiliation
Quand la Russie rêvait d’Europe
Au sortir de la guerre froide, les Russes voyaient leur avenir dans une Europe réconciliée et dotée de mécanismes de sécurité communs. En portant le glaive de l’Alliance atlantique jusqu’à leur porte, les Occidentaux ont pris le risque d’une réaction nationaliste.
La géostratégie russe à l’égard de l’Europe ne peut s'appréhender sans tenir compte de l'importance grandissante du secteur énergétique (gaz et pétrole) sur le plan économique depuis 2001, période où débute la hausse fulgurante des prix des hydrocarbures dans le monde.
En effet, la Russie est le premier producteur mondial (environ 600 milliards de m3) et le premier exportateur mondial (environ 200 milliards de m3) de gaz et le 2e producteur mondial et exportateur majeur du pétrole. Ses réserves gazières s'élèvent à plus de 23 % des réserves mondiales.
Compte tenu de sa situation géographique, la Russie est le premier fournisseur potentiel de l'Union européenne (UE).
Berlin et Moscou dépendent l'un de l'autre dans ce domaine : alors que l'Allemagne est intéressée par les énormes ressources énergétiques russes, la Russie a besoin des investissements allemands dans ses infrastructures pétrolières et gazières. L'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, artisan d'un rapprochement entre Berlin et Moscou, a œuvré activement en faveur du projet de gazoduc Nord Stream.
Voici un nouvel extrait du rapport du Sénat français en 2008 :
Entre l'Union européenne et la Russie, il existe, en effet, une réelle interdépendance. La Russie représente pour l'Union européenne son plus grand voisin, son troisième partenaire commercial et son premier fournisseur d'hydrocarbures. De son côté, l'Union européenne est le premier partenaire commercial de la Russie et son principal débouché. Une coopération étroite est donc une nécessité, notamment sur le plan énergétique.
Une première étape a été un accord de partenariat et de coopération, signé en 1994 et entré en vigueur en 1997, pour une période initiale de dix ans. Cet accord instituait un cadre pour le dialogue politique et visait à renforcer les relations entre l'Union européenne et son plus grand voisin, dans une série de domaines, en particulier économique.
Deuxième étape : le Sommet de Saint-Pétersbourg, fin mai 2003, quand l'Union européenne et la Russie décident de renforcer leur coopération sur la base de quatre volets, baptisés « espaces communs », concernant les aspects économiques et commerciaux, les aspects « justice et affaires intérieures », les questions de sécurité internationale et les questions éducatives et culturelles.
En 2008, le Sénat français voit avec confiance le partenariat avec la Russie (le gras est le fait du rapport).
Il convient toutefois de rappeler que, même au plus fort de la guerre froide, Moscou n'a jamais manqué à ses engagements contractuels vis-à-vis de ses partenaires européens et que la dépendance est réciproque, puisque près de 75 % du pétrole et 80 % du gaz russes partent vers l'Union européenne.
L'ensemble des experts s'accorde donc à rejeter l'hypothèse d'un chantage énergétique de la part de la Russie vis-à-vis de l'Union européenne.
On est dans une coopération gagnant-gagnant, à même d’écarter toute idée de conflit entre des partenaires étroitement liés. On ne fait pas la guerre à celui avec qui on commerce.
La fin du rapport émet le vœu de poursuivre le cadre de coopération avec la Russie (le gras est le fait du rapport) :
Pour les membres de la délégation, l’établissement d'un partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie répond aux intérêts des deux partenaires et serait de nature à rapprocher la Russie de l'occident.
Conclusion sur l’Europe :
L’intégration croissante de la Russie et de l’Europe était une perspective importante pour les pays de l’UE, la France en tête. La question énergétique était et est toujours au cœur.
La politique d’expansion de l’OTAN – des USA – a éloigné progressivement la Russie de son étranger éloigné le plus proche. La crise ukrainienne de 2014 va être un tournant. La destruction de Nordstream va le concrétiser. Ceux qui l’ont détruit on atteint le nerf de la coopération Russie-Europe. Ce faisant, ils ont pris un vrai risque : la Russie tirant des leçons de l’échec de la politique de main tendue, est réduite à tourner le dos à l’Europe. Elle va se tourner vers de nouveaux partenaires : les BRICS et la Chine.
3.3. La Russie et les BRICS
La Russie commence à investir dans d’autres relations diplomatiques et économique dès 2009. C’est en même temps qu’elle prend ses distances avec l’OTAN. Initialement, le terme « BRIC » désignee quatre pays se regroupant à partir de 2009 : Brésil, Russie, Inde et Chine (en anglais : Brazil, Russia, India, China). La Russie est donc parmi les pays fondateurs.
La participation de la Russie aux BRICS est la concrétisation d’un autre élément de la doctrine étrangère de la Russie : l’affirmation du fait que « le monde est multipolaire ». La doctrine de politique étrangère, qui a été explicitement formulée le 31 août 2008 par le Président Medvedev, comprend cet élément important pour la Russie : ne pas réduire les relations internationales à un monde monopolaire (USA seule hyperpuissance) ou bi-polaire (USA-Chine ou USA-Russie), mais réellement composés de plusieurs centres en réorganisation accélérée, la multipolarité étant à la fois signe d’équilibres à redéfinir sans arrêt et aussi signe concret d’une perte d’influence des USA.
À partir du , les BRICS sont rejoints par 5 pays : l'Iran, l'Égypte, l'Éthiopie, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Les dix pays des BRICS+ représentent en 2024 près de la moitié de la population mondiale et 27 % du produit intérieur brut mondial en valeur nominale, contre 44 % pour les pays du G7.
À la date du 10 août 2023, 23 pays ont officiellement soumis leur demande pour rejoindre les BRICS : l'Algérie, le Bahreïn, le Bangladesh, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l'Égypte, le Honduras, l’Indonésie, l'Iran, le Kazakhstan, le Koweït, le Nigeria, la Palestine, l'Arabie saoudite, la Serbie, le Sénégal, la Thaïlande, les Émirats arabes unis, le Venezuela et le Viêt Nam.
Il est probable que l’heure du partenariat avec l’Europe est passée. Il n’est pas sûr que l’Europe en tire quelque bénéfice que ce soit.
La Russie développe rapidement de nouveaux partenariats. Un grand nombre des futurs membres des BRICS étaient précédemment dans la sphère d’influence américaine : l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Vet Nam, l’Egypte, le Honduras, le Koweit. La diplomatie russe, par le biais des Brics, vise peut-être à faire tomber, économiquement, quelques dominos de son adversaire.
Au sein des BRICS, la question du dollar comme monnaie internationale d’échange, instrument du pouvoir américain, est déjà en question. Elle pourrait par ce biais renforcer son partenariat avec l’Iran.
Et l’espace des BRICS est celui d’une coopération avec la Chine.
3.4. La Russie et la Chine
La Russie perçoit la Chine à la fois comme un partenaire et un géant à surveiller. La Russie est inquiète depuis toujours des 1000 kilomètres de frontières en commun. V. Poutine rappelle souvent que son pays compte 150 millions d’habitants, la Chine 1,5 milliard. Le PIB russe est dix fois inférieur au PIB chinois.
Russie et Chine sont concurrents historiquement, mais ont un point commun, celui d’être considérés par les USA comme des ennemis. De quoi, temporairement, se rapprocher.
Ils ont pourtant une rivalité régionale : en Asie centrale, les anciennes républiques soviétiques du Kazakhstan, du Tadjikistan, du Turkménistan, du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan sont sous influence séculaire russe depuis Catherine II. En face, la rivalité chinoise se concrétise avec le projet des "Nouvelles routes de la soie" du président Xi Jinping.
Mais la politique de rupture avec l’Europe a renforcé récemment les relations avec la Chine.
Le 20 mars 2023, Xi Jinping a fait une visite officielle de trois jours à l’issue de laquelle Vladimir Poutine a estimé que "les relations russo-chinoises ont atteint le point culminant de leur histoire" et que la qualité des liens entre Moscou et Pékin était "supérieure à celle des unions politiques et militaires des temps de la Guerre froide".
Le 17 octobre 2023, le président russe rencontrait son homologue chinois en marge du troisième Forum de la Ceinture et de la Route à Pékin. Vladimir Poutine déclarait que les conflits dans le monde renforçaient l’axe Pékin/Moscou.
La Chine a, depuis 2022, largement augmenté ses importations d'hydrocarbures (pétrole et gaz) provenant de Russie – sécurisant ainsi ses approvisionnements énergétiques –, tout en exportant des technologies et des voitures vers son voisin russe. Au total, les échanges commerciaux sino-russes ont enregistré une hausse de 34 % sur un an, atteignant en 2022 un montant record de 190 milliards de dollars (177 milliards d'euros), selon les douanes chinoises.
Il s’agit pour l’instant d’un simple accord de principe sans contenu, mais l’isolement diplomatique et militaire de la Russie, son encerclement par l’ouest pourrait lui faire franchir le pas avec son partenaire du Sud Est.
Une alliance qui, si elle se confirmait ne serait pas forcément une chance pour la paix dans le Monde, sauf à instaurer un nouvel équilibre de la terreur.
Conclusion :
Poutine est-il fou ? On peut ne pas aimer le personnage, autocrate, solidement installé au pouvoir dans une démocratie autoritaire. Le croire fou n’apporte rien à la compréhension des actions de la Russie. Cela ne sert qu’à empêcher la compréhension des moteurs de son action lesquels reposent sur quelques éléments de doctrine solidement établis. Poutine, en succédant à Eltsine en 1999, a continué la politique de main tendue de Gorbatchev et d’Eltsine (ce dernier s’était rendu à Washington demander l’aide des USA et exposé sa politique d’ouverture et de désarmement. C’est ici si vous avez oublié : https://www.lesechos.fr/1992/06/eltsine-na-pas-degele-le-congres-us-928091). Poutine a donné des gages très forts d’ouverture, participé à des opérations conjointes et toujours rappelé les lignes rouges. L’Ukraine était celle à ne pas franchir. Les USA ont commencé en 2004, poursuivi en 2014, et construit depuis cette date un réseau de bases de la CIA aux frontières. L’agression en Ukraine n’est pas l’œuvre d’un fou, elle est la réaction face à ce qui est considéré comme une menace dans l’ « étranger proche ».
L’expansionnisme ne fait pas partie de la doctrine russe et la Russie n’aurait, quand elle le voudrait, guère les moyens d’une politique agressive.
Mais à trop vouloir jouer avec le feu, Américains et Européens risquent de créer les conditions d’une alliance nouvelle entre Russie et Chine. Ne pas acculer l’adversaire à des solutions désespérées est la base de la diplomatie. Sauf quand on veut la guerre. Aucun peuple ne la veut. Les lobbies militaro-industriels américains (pléonasme), c’est moins sûr.