L’ « extrême-centre » et les « extrémismes » : comment évacuer du débat les partis porteurs de questions sociales ?

Le 25/05/2025 0

Article du 25 mai 2025

 

Après avoir fait le tour de l’identité de la gauche et de la droite dans l’Histoire et sur ce que cela recouvre aujourd’hui depuis la distinction entre social et sociétal, je voudrais montrer comment la configuration actuelle de l’espace politique français tend à délégitimer et à disqualifier tous les partis qui posent des questions sociales de nature à remettre en cause l’exploitation capitaliste et ses conséquences, auxquelles j’ai consacré un article : explosion des inégalités qui sape l’idée même de démocratie, système prédateur qui repose sur l’exploitation croissante des travailleurs et le pillage des ressources naturelles.

Comment s’opère cette disqualification ? Le processus est simple et, pour un linguiste comme moi, il est facilement repérable : il consiste à appeler « extrême » tout parti qui critique un des éléments de la double-pensée unique.

Vous êtes un extrémiste (de gauche ou parfois de droite on le verra) si vous remettez en cause l’exploitation capitaliste.

Vous êtes aussi un extrémiste si vous n’acceptez pas une « avancée sociétale ».

Dès lors que tout parti potentiellement critique est disqualifié par sa nature extrémiste, il n’y a littéralement plus de débat possible. « On ne débat pas avec des extrémistes, on les réduit, on les isole, on les évacue. »

En France, le courant qui s’appelle « centrisme » procède actuellement de la sorte, avec le secours des médias qui entonnent à longueur de journée le refrain de l’extrémisme des partis critiques. En procédant ainsi, le prétendu centrisme ne devient-il pas lui-même cet « extrême-centrisme » qui a été popularisé par des penseurs comme Jean-Claude Michéa ou Alain Deneault ?

Ce concept bizarre désigne une posture politique se réclamant du bon sens, de la rationalité et de la modération, tout en appliquant en réalité des politiques autoritaires, technocratiques et néolibérales. Cette configuration se manifeste avec acuité en France depuis l'avènement d'Emmanuel Macron, dont le parti (La République en Marche, devenu Renaissance) se veut à la fois moderne et dépassant le clivage gauche-droite, tout en consolidant une gestion verticale du pouvoir.

C’est ce parcours que je vous invite à faire ! Je me contenterai des grandes lignes, parfois de quelques exemples un peu plus développés mais il y aurait matière, en allant dans ce sens, à en faire un livre sans doute !

1. Retour au sens premier des mots : qu’appellait-on avant le régime actuel un parti extrémiste ?

Historiquement, on qualifiait d’extrémistes les partis qui refusaient les règles du jeu démocratique : recours à la violence, rejet des institutions, culte du chef, milices paramilitaires. L’extrême droite classique se référait à des idéologies autoritaires, xénophobes ou fascistes. De même, certaines formes d’extrême gauche faisaient l’apologie de la révolution violente ou de la dictature du prolétariat.

Aujourd’hui, ce sens est dévoyé. Le mot « extrême » est désormais utilisé pour disqualifier tout ce qui s’écarte du consensus néolibéral. La France insoumise, bien qu’ancrée dans une tradition démocratique et républicaine, est ainsi qualifiée d’extrême gauche pour ses propositions… sociales ou écologiques ! De la même manière, des figures souverainistes de droite ayant des préoccupations sociales (comme Dupont-Aignan ou Philippot) sont amalgamées à l’extrême droite alors qu’elles n’en partagent ni les fondements idéologiques, ni les pratiques autoritaires.

Ce phénomène ne relève pas d’une analyse politique honnête, mais d’une stratégie rhétorique de l’extrême-centre : en assimilant toutes les oppositions à des formes d’extrémisme, on réduit artificiellement le champ du raisonnable à ce que propose le pouvoir en place, tout en reformatant l'opposition en opposants « autorisés » (comme le RN), parce qu’ils ne remettent pas en cause les fondements économiques du système.

En procédant de la sorte, le prétendu centrisme stérilise la vie démocratique d’une manière qui n’a pas de précédent en France sauf dans la période appelée État français et mieux connue sous l’appellation de France de Vichy.

2. Un cas d’étude intéressant : la diabolisation de La France insoumise

L’extrême-centrisme ne prend pas la peine de disqualifier les partis anti-capitalistes comme le NPA : les médias ont depuis longtemps déjà pris l’habitude de les classer comme des partis d’extrême-gauche alors qu’ils participent aux élections et ne s’inscrivent pas dans des logiques de violence ou de culte du chef. Ces partis sont déjà devenus inaudibles.

L’objectif actuel est de diaboliser celui des partis de la gauche dite « de gouvernement » qui présente un risque pour la pensée néolibérale, de l’évacuer du paysage politique.

Une partie de la gauche se livre volontiers à cet exercice : celle qui dit qu’il faut unir toutes les forces de gauche sauf la France insoumise, qui serait un parti infréquentable par nature ! C’est là un des jeux préférés de la « nouvelle gauche ». C’est par exemple Raphaël Glucksmann qui déclarait en juillet 2024, lors d'une interview sur RTL, que Jean-Luc Mélenchon représentait « un problème immense » pour la gauche, appelant à « rompre avec le bruit et la fureur » incarnés par le leader de LFI. Il soulignait la nécessité de construire une gauche qui apaise le pays. Comprendre « qui ne pose pas de question sociale »…

Défendre La France insoumise est devenu aujourd’hui l’exercice le plus difficile qui soit et je n’ai aucune intention de le faire, ni pour promouvoir ce parti, encore moins pour dresser de son chef un portrait angélique.

Ce qui m’intéresse, c’est de montrer les rouages du procès en diabolisation car ils concernent tout parti qui sort de la pensée unique néolibérale. En voici quelques éléments.

  1. 2.1. LFI et la question sociale : une critique cohérente du capitalisme et de la Ve République
  2.  

Avant d'être un mouvement porteur de revendications sociétales, La France insoumise s'est d'abord construite sur une critique globale du système néolibéral et de ses effets sur les classes populaires. Son programme, "L'Avenir en commun", propose une transformation radicale de l'ordre économique :

  • Remise en cause de la logique capitaliste : LFI dénonce la financiarisation de l'économie, l'accaparement des richesses par une minorité et l'explosion des inégalités. Elle propose la planification écologique, la répartition du travail, l'élargissement des droits sociaux, une fiscalité plus juste.
  • Défense des services publics et du salariat : LFI propose la réappropriation des biens communs, le renforcement des services publics (santé, éducation, transport), l'élargissement des droits des travailleurs et la revalorisation du SMIC.

Mais c’est aussi le seul parti « de gouvernement » qui soit porteur d’un projet de transformation de l'État et des institutions : LFI plaide pour une VIe République rompant avec l'hyper-présidentialisme de la Ve. Elle veut une démocratie plus directe, avec des référendums d'initiative citoyenne, une Assemblée plus représentative et des contre-pouvoirs renforcés.

Dans le débat politique actuel, dans la manière dont il est organisé, ces positions politiques et économiques de LFI, de gauche sociale, sont rarement abordées. Elles sont en fait ignorées dans le débat public, car recouvertes par des controverses d'ordre sociétal. C’est le point suivant.

  1. 2.2. Comment LFI voit ses positions sociales occultées par ses prises de position sociétales et les controverses qui en découlent
  2.  

Fin 2022, Aymeric Caron, député LFI et militant de longue date de la cause animale, dépose une proposition de loi visant à interdire la corrida en France. Immédiatement, la mesure déchaîne les passions. Tandis que les défenseurs des droits des animaux saluent une initiative courageuse, les tenants des traditions taurines du Sud de la France dénoncent une agression contre leur culture. Le débat devient national, les médias s'en emparent, et la fracture entre les deux "gauches" réapparaît : d'un côté, une gauche morale et universaliste défendant les droits animaux ; de l'autre, une gauche populaire attachée aux coutumes locales.

Cette controverse, très symbolique, masque un fait plus large : LFI est souvent réduite dans l'espace public à ses prises de position sociétales, tandis que ses analyses et propositions sociales sont peu relayées, voire déformées. L'affaire Caron en est un symptôme : elle focalise l'attention médiatique sur un débat moral et symbolique qui concerne quelques villes, un public réduit, et qui n’impacte pas les conditions de vie ou les droits sociaux de la majorité des gens.

Le risque est de faire apparaître LFI comme un parti hors sol, coupé des vraies gens.

La mise en premier plan du sociétal par les médias invisibilise d'autres combats menés par LFI sur le terrain social et économique alors que d’autres enjeux urgents — inflation, réforme des retraites, crise énergétique — sont prioritaires pour beaucoup de citoyens. LFI se retrouve régulièrement au cœur de polémiques sociétales qui captent l'attention et divisent l’électorat de gauche :

- Laïcité et port du voile : des déclarations de figures comme Danièle Obono ou Clémentine Autain sur la liberté religieuse et la lutte contre l'islamophobie sont clivantes. Il est assez simple pour les médias de caricaturer ces prises de position comme relevant du "communautarisme", même lorsqu'elles s'inscrivent dans une logique universaliste. La caricature va même jusqu’ faire de LFI le « parti de l’étranger ».

- Langage inclusif, droits des minorités, écriture inclusive : les soutiens explicites ou implicites à certaines revendications progressistes peuvent être perçus comme des signaux d'une gauche déconnectée du monde populaire.

- Courants décoloniaux et intersectionnels : la proximité de certains membres de LFI avec des discours critiques de l'universalisme républicain a entraîné des accusations d'adhésion au "wokisme".

Si LFI continue à porter une critique sociale forte, son exposition médiatique est souvent cannibalisée par des controverses sociétales. Celles-ci, bien que parfois légitimes, sont exploitées pour diviser, délégitimer ou caricaturer le mouvement. La mécanique est connue : une prise de position symbolique devient une "affaire", relayée en boucle, qui occulte toute autre forme de discours.

La difficulté de LFI est peut-être aussi celle de toute la gauche contemporaine : retrouver une voie politique qui articule sans les opposer justice sociale et luttes culturelles, sans se laisser définir par les seules controverses imposées par l'agenda médiatique.

2.3. La stratégie de l’extrême-centre : disqualification et exclusion d'un adversaire politique de gauche

Dans ce paysage, la stratégie de l'"extrême-centre", incarnée par Emmanuel Macron et ses soutiens, joue un rôle décisif. Elle consiste à disqualifier systématiquement les oppositions en les extrémisant, tout en se présentant comme le seul pôle de rationalité et de modernité. Cette stratégie repose sur plusieurs leviers qui vont être illustrés dans le cas de LFI :

  1. Nommer systématiquement l’adversaire comme « parti extrême »

Malgré un programme largement réformiste et inscrit dans la tradition sociale-démocrate radicale, LFI est systématiquement qualifiée par les politiciens centristes et dans les médias de « parti d’extrême gauche ». Ce cadrage rhétorique abusif (cf. partie 1) permet de la renvoyer dos à dos avec le Rassemblement national (RN), tout en disqualifiant ses propositions comme irréalistes ou dangereuses.

  1. Instrumentaliser la question israélo-palestinienne

Depuis le début de la guerre à Gaza en 2023, les prises de position de LFI en faveur des droits des Palestiniens ont été interprétées, dans les sphères gouvernementales et médiatiques proches du pouvoir, comme des expressions d'un antisémitisme dissimulé. L'accusation d'antisémitisme, décontextualisée, vise à diaboliser le parti et à l'exclure du champ républicain légitime. Arno Klarsfeld a par exemple qualifié LFI de parti « devenu antisémite se cachant derrière un voile diaphane d’antisionisme ». Il estime que les prises de position de LFI, notamment celles de Jean-Luc Mélenchon, alimentent une propagande de l’extrême gauche alliée aux islamistes, contribuant ainsi à la hausse des actes antisémites en France depuis le 7 octobre.

En mai 2025, la majorité des pays occidentaux, une grande part de l’opinion publique française et même une partie de ce que l’on nomme un peu abusivement en France la « communauté juive » se rapprochent des analyses de LFI sur le sort fait au peuple palestinien. LFI n’est plus seul à utiliser le mot « génocide ». Cela conduit-il pour autant à une dédiabolisation de ce parti qualifié d’antisémite dans les médias ? On en est loin au moment où j’écris ces lignes.

  1. LFI, un parti non démocratique : un récit médiatique construit

Au-delà de ses positions idéologiques, LFI est également régulièrement présentée comme un parti autoritaire ou non démocratique dans son fonctionnement interne. Cette accusation repose sur des représentations systématiquement relayées dans les grands médias.

LFI est présenté comme un parti au service d’un chef, avec débats internes occultés. Mais ce reproche pourrait tout aussi bien s'appliquer à d'autres partis : Les Républicains, historiquement structurés autour de figures fortes comme Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, ont connu des pratiques de centralisation comparables. Quant à La République en Marche, elle a été souvent décrite comme un "parti start-up" au service exclusif d'Emmanuel Macron, avec peu de vie démocratique interne. En fait, c’est le fonctionnement de la 5e République, dont LFI propose de sortir précisément, qui favorise ce fonctionnement peu démocratique. Mais entend-on ce discours ?

Des départs ou critiques internes (comme ceux de François Ruffin ou Charlotte Girard) sont largement exploités pour construire un récit de purges ou de verrouillage idéologique. Or, d'autres partis comme LREM ou LR ont eux aussi connu des départs retentissants et des exclusions sans que cela ne nourrisse une narration équivalente de crise démocratique. Les crises internes dans d'autres partis — telles que les dissensions chez LR ou les nominations verticales chez Renaissance — ne donnent pas lieu à la même intensité médiatique.

Dernier en date, le livre La Meute (2025), écrit par deux journalistes de Libération et Le Monde, illustre cette dynamique de construction d’un ennemi politique. Il s'agit d’un ouvrage présenté comme une enquête, mais qui fonctionne surtout comme une pièce supplémentaire dans l'effort de délégitimation symbolique de LFI.

Le 8 mai 2025, lors de l'émission matinale de BFMTV animée par Apolline de Malherbe, Alain Jakubowicz, président d'honneur de la Licra, surfant sur la vague de bashing médiatique a jugé opportun et même tout à fait admissible, de comparer Jean-Luc Mélenchon à Joseph Goebbels, le ministre de la Propagande du régime nazi. Invité à commenter la sortie du livre La Meute, Jakubowicz a pu déclarer : « Ça raconte l’histoire d’un mouvement fasciste […]. Toutes proportions gardées, je vois un parallèle — je sais que je vais me faire rentrer dedans, mais ce n’est pas grave — entre Mélenchon et Goebbels. L’homme tout-puissant que le peuple doit suivre. C’est fascinant et, en même temps, ça fait froid dans le dos ».

https://www.ladepeche.fr/2025/05/09/compare-a-goebbels-melenchon-annonce-porter-plainte-contre-lex-president-de-la-licra-alain-jakubowicz-pour-injure-publique-12685236.php?utm_source=chatgpt.com

Personnellement, ce qui me fait froid dans le dos, c’est ce genre de comparaison.

  1. 2.4. Délégitimation des droites nationales 
  2.  

Rassurez-vous, il n’y en a pas que pour la gauche !

Tous les partis de droite nationale (Asselineau, Dupont-Aignan, Philippot), qui sont porteurs d’autre chose que d’un discours néolibéral – pensée unique –, connaissent le même traitement médiatico-politique. S’il est moins omniprésent, c’est parce que ces partis représentent pour l’instant un moindre danger.

Mais ils sont désormais, et sans le moindre débat, qualifiés d'extrême droite alors qu’ils n’en présentent aucun des caractères. Cette étiquette permet de brouiller encore plus la lecture du paysage politique.

Ces formations, parfois critiques de l’UE, de l’OTAN ou du capitalisme financier, et porteuses de préoccupations sociales d’inspiration gaulliste, deviennent à leur tour des cibles à discréditer. Elles sont ainsi rejetées hors du débat "raisonnable", alors même que leurs critiques peuvent éclairer une partie des problèmes que rencontre l’électorat populaire.

2.5. Fin de la recomposition politique façon « extrême-centre » : repositionner le RN comme opposition "républicaine"  

Dans un renversement historique, l'extrême-centre crédibilise peu à peu le Rassemblement national en tant qu'opposition acceptable, à nouveau respectueuse des valeurs de la République. Ce parti ne sert que de repoussoir commode quand il s’agit de demander à la gauche de faire « barrage au RN », dans des stratégies de « cordon sanitaire républicain ».

La stratégie a si bien marché aux dernières législatives que Macron a pu s’appuyer sur un attelage hétéroclite de députés, seulement élus pour faire barrage au RN, pour nommer deux premiers ministres de centre droit et gouverner en déni des résultats des urnes.

Dès le lendemain des élections, la stratégie a été de dire « Tous républicains sauf LFI ». Et dans ce « Tous républicains », il fallait comprendre aussi le RN qui vote à l’Assemblée pour le gouvernement Bayrou. Les électeurs qui, de bonne foi avaient fait « barrage au RN », se retrouvent encore cocus. Depuis les élections, une stratégie, qui a commencé avec l’alliance électorale de Ciotti avec le RN, cherche à faire du RN l'adversaire privilégié, car plus facile à battre au second tour qu'une gauche radicale porteuse d'une possible véritable rupture.

Au service de cette stratégie, Arno Klarsfeld a déclaré publiquement en juin 2024 qu'il voterait pour le Rassemblement national (RN) en cas de duel face à La France insoumise (LFI) lors des élections législatives de 2024. Il a justifié cette position en affirmant que Marine Le Pen avait fait évoluer le parti, notamment en se distanciant des positions de son père, Jean-Marie Le Pen, et en condamnant le collaborationnisme du maréchal Pétain.

https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/marine-le-pen-a-fait-evoluer-le-parti-comme-son-pere-arno-klarsfeld-voterait-rn-en-cas-de-duel-contre-lfi-20240620?utm_source=chatgpt.com

Soyons clair sur ce parti et faisons le point sur ce qu'il représente sur l'échiquier politique.

Le Pen père était effetivement proche des thèses négationnistes de Faurisson, un des marqueurs de l'extrême-droite, le Rassemblement national a su lisser son discours, avec le discours anti-immigrés qui a fait l'essentiel de son fond de commerce. Mais son idéologie économique était néolibérale, un point en opposition totale avec les partis historiques d'extrême droite.  À partir des années 1990, le FN a opéré un tournant vers un protectionnisme économique, s'éloignant de sa vision libérale initiale. Jean-Marie Le Pen dénonçait de plus en plus le libre-échange et la mondialisation, qu'il qualifiait de "mondialisme" . Il prônait un "protectionnisme raisonné", visant à réguler les échanges et à redonner à la France des frontières économiques. Ce discours présente de nombreux marqueurs à même de séduire l'électorat populaire qui ne se reconnaît plus dans la gauche sociétale. C'est ce sillon qu'a continué à creuser Marine Le Pen dans sa stratégie d'accès au pouvoir. Le parti a commencé à s'adresser à l'électorat populaire avec des slogans tels que "Le social, c'est le Front national", adoptant un discours social assumé.

L'extrême centre prendrait-il le risque de faire arriver au pouvoir un parti de "gauche souverainiste" ? En réalité, le parti lepéniste est utile pour syphonner les voix d'un électorat de gauche déboussolé alors qu'il est un autre visage des politiques néolibérales.

Bien que le RN se présente comme un parti « social » et « protecteur », plusieurs éléments de son programme trahissent son adhésion à l’idéologie néolibérale, notamment sur les plans économique, fiscal et institutionnel.

     Refus d’augmenter significativement les impôts des plus riches

Le RN rejette toute hausse des impôts sur les grandes fortunes, les dividendes ou les grandes entreprises. Il ne propose pas non plus de taxation significative du capital. Cela s’aligne avec un paradigme néolibéral : préserver les détenteurs de capitaux pour ne pas « pénaliser l’investissement ».

     Défiance à l’égard de l’État redistributeur

Le RN reste hostile à une extension significative de la protection sociale, préférant une logique de réserves nationales (priorité nationale pour l’accès aux aides) plutôt qu’un renforcement universel. Il ne défend pas une augmentation massive des dépenses publiques dans l’éducation, la santé ou les services sociaux.

     Soutien implicite aux logiques de concurrence

Malgré son discours souverainiste, le RN ne propose pas de rompre avec les traités européens qui imposent la concurrence libre et non faussée, sauf de manière symbolique. Il ne s’attaque pas aux mécanismes concrets du libre-échange ou à la financiarisation de l’économie mondiale, préférant cibler les « délocalisations » de manière superficielle.

     Individualisme et stigmatisation des pauvres

Le discours du RN reste imprégné d’une rhétorique méritocratique, où les pauvres doivent « faire des efforts », et où les « assistés » sont souvent stigmatisés (notamment les immigrés). Ce rejet d’une solidarité inconditionnelle est un trait classique du néolibéralisme. Comme d’autres partis néolibéraux, le RN promet des économies via la « chasse à la fraude » (sociale surtout), sans remettre en cause les niches fiscales ou l’optimisation des grandes entreprises.

    Droit du travail peu évoqué

Le RN parle rarement de renforcement des droits des travailleurs ou de lutte contre la précarité contractuelle. Il ne propose pas de retour à des protections collectives fortes comme les 35 heures ou un droit de veto des salariés.

Ces éléments révèlent un alignement sur la flexibilisation du marché du travail, pilier du néolibéralisme. Les classes populaires seront encore flouées.

Sur le plan idéologique, son antisémiisme historique a fait place à un philosémitisme (ou plutôt philosionisme) tout aussi suspect. Marine le Pen est maintenant un soutien inconditionnel de l'État d'Israël, dont elle fait le rempart de l'Occident contre l'Islam. Elle s'affiche aux côtés de Netanyahou dont la politique est clairement dictée par des principes et des partis d'extrême droite, colonialistes. Klarsfeld vote le Pen contre LFI. La haine du Juif s'est effacée derrière celle de l'Arabe. Est-ce vraiment plus présentable ? Les médias s'en offusquent-ils ?

Peu importe ces "détails de l'Histoire" pour la pensée politique mainstream : le RN est maintenant un opposant tout à fait acceptable. Sa montée en puissance, qui a un long temps handicapé la droite, est maintenant un handicap pour la gauche dont elle capte de nombreux électeurs, S'il devait y avoir une "alternance" politique, c'est la même politique néolibérale qui se poursuivrait tranquillement, comme on le voit en Italie avec le gouvernement Meloni, euro-compatible et liberal.

Conclusion 

J’espère que le lecteur (et la lectrice !) auront compris que cet article n’est pas un plaidoyer pour La France insoumise, même si une grande partie est consacrée à l’examen de sa politique. Il veut expliquer la manière dont un certain usage du vocabulaire politique, avec l’emploi complètement abusif du terme « extrême » appliqué à tous les partis qui remettent en cause la pensée unique néolibérale en économie, celle qui sape nos démocraties en détruisant les solidarités sociales et qui pille la planète, est en train de complètement recomposer le paysage politique dans le sens de cette pensée unique.

Le déplacement du centre de gravité politique a pour effet de verrouiller le champ démocratique : il marginalise LFI comme parti prétendument si radical qu’il serait devenu incompatible avec la République, il redore le blason du RN en le construisant comme une opposition décente, et il rend illisibles d'autres voix critiques de droite qui pourraient ne pas être totalement compatibles avec le cadre.

À travers ce prisme, on comprend que la diabolisation de LFI ne repose pas uniquement sur ses idées ou ses pratiques, mais est la partie émergée d’un processus plus large de marginalisation politique, appuyé par une stratégie de communication du centre (dès lors nommé « extrême centre » en raison de sa propre pratique excluante) et amplifié par des relais médiatiques puissants.

Au terme de ce parcours, qui pourra s’étonner qu’après le « centre » (visage des politiques de droite, en fait), la seule alternance politique possible en France soit le RN ? Qui pourra s’étonner de trouver Bardella ou Le Pen après Macron à la tête du pays ? La politique macroniste, qui se choisit un seul « adversaire » légitime – mais qui est en fait un autre visage des politiques néolibérales, nous y conduit tout… droit !

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