1. L’Europe taxée et sommée d’investir… aux États-Unis
Avec l’Inflation Reduction Act (IRA) adopté en 2022, Washington a mis en place le plus vaste programme de subventions de son histoire récente : près de 370 milliards de dollars pour attirer sur son sol les industries stratégiques (énergies renouvelables, batteries, semi-conducteurs, véhicules électriques). Mais ce n’est pas seulement une aide. C’est une condition : pour bénéficier des crédits, les entreprises doivent produire sur le sol américain.
Résultat : une hémorragie de projets européens. Northvolt, Volkswagen, Solvay, BASF… tous ont annoncé des investissements massifs outre-Atlantique, séduits par des subventions qui n’ont aucun équivalent en Europe. Le paradoxe est cruel : l’Union européenne, incapable de bâtir un plan de relance coordonné après le Covid et freinée par l’austérité budgétaire, se voit contrainte de financer indirectement l’économie américaine par la délocalisation de son savoir-faire et de ses emplois.
Et ce n’est pas fini. En 2024 et 2025, l’administration Biden a multiplié les signaux pressants pour que l’Europe « aligne ses efforts » : autrement dit, que les capitaux européens complètent les subventions américaines. La secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a même parlé d’un « devoir transatlantique d’investissement commun », formule élégante pour masquer un transfert de richesses à sens unique.
Dimanche 27 juillet, entre quelques parties sur son golf de Turnberry en Écosse (Royaume-Uni), le président états-unien Donald Trump a annoncé la finalisation d’un accord commercial avec l’Union européenne (UE). Tout le week-end, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait négocié aux abords du green écossais avec une seule idée en tête : échapper aux 30 % de droits de douane que Washington avait menacé d’instaurer aux produits européens en cas d’absence d’accord au 1er août. Vu depuis cette menace, l’UE peut juger qu’elle s’en sort bien. Un droit de douane global de 15 % sera ainsi imposé aux produits européens sur le territoire états-unien. D’abord, ce droit de douane est asymétrique et s’accompagne d’une absence de droits de douane réciproques pour les produits états-uniens qui, partant, vont venir concurrencer les produits européens sur leurs marchés sans contrainte.
Ensuite, ce droit de douane est plus élevé que le niveau de 10 % appliqué depuis le 2 avril. Il y aura donc bien un renchérissement des produits européens sur le marché états-unien. Ceci est d’autant plus vrai que le niveau d’il y a un an était inférieur à 5 %. Certes, les droits sur les automobiles reculent de 25 à 15 %, mais Donald Trump a bien précisé que cette taxe douanière ne s’appliquerait pas aux produits pharmaceutiques et à la métallurgie. L’acier et l’aluminium européens resteront frappés au niveau actuel de 50 % qui ferme de facto le marché états-unien aux produits européens.
Enfin, l’accord inclut des engagements considérables dela part de l’UE. Le bloc s’engage ainsi à investir 600 milliards de dollars supplémentaires aux États-Unis, c’est-à-dire trois fois le montant de l’excédent commercial bilatéral de 2024 réalisé par les Européens.
C’est d’autant plus difficile à accepter que la zone euro souffre d’un sous-investissement chronique depuis des années et que c’est là un des problèmes de la faiblesse relative de la croissance de la région. Mais à cela s’ajoutera un montant de 750 milliards de dollars de dépenses en « produits énergétiques » états-uniens. Là aussi, la pilule est difficile à avaler pour une Union européenne qui, il n’y a pas si longtemps, se prétendait pionnière de la lutte contre le réchauffement climatique. Car les « produits énergétiques » états-uniens sont principalement des produits fossiles : pétrole, gaz de schiste et gaz liquéfié. Ces importations viendront mécaniquement freiner l’usage des énergies renouvelables sur le Vieux Continent.
Enfin, Donald Trump a assuré que l’UE avait pris l’engagement d’acheter de « vastes montants » d’armes états-uniennes. Et là encore, c’est un mauvais coup. L’UE, mais surtout les États membres, ont lancé de larges programmes de réarmement au nom de « la souveraineté européenne ». Cela aurait pu être l’occasion de recréer et renforcer des filières en Europe. Mais l’UE a décidé de continuer à faire dépendre très largement le Vieux Continent de la fourniture d’armes des États-Unis. Autrement dit : les plans de réarmement, que beaucoup de pays, à commencer par la France, vont financer avec des baisses de dépenses sociales et redistributives, vont permettre de transférer des fonds vers les États-Unis.
Si l’on veut être encore plus clair, on peut résumer ainsi : l’austérité européenne va financer la croissance états-unienne. L’UE viendra soutenir la croissance états-unienne, dépendra du pétrole et des armes d’outre-Atlantique et ne touchera pas aux rentes numériques des géants technologiques états-uniens. La victoire pour Washington est totale.
2. L’Europe, l’Europe, l’Europe !
Que disent nos politiques et industriels ? Vendredi 25 juillet dans Le Figaro, Bernard Arnault affirmait préférer un « accord facialement déséquilibré » à un « bras de fer ». « L’accord commercial négocié par la Commission européenne avec les États-Unis apportera une stabilité temporaire aux acteurs économiques menacés par l’escalade douanière américaine, mais il est déséquilibré », a prévenu sur le réseau social X le ministre français délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad. Le 28 juillet 2025, Bayrou a dénoncé sur X (anciennement Twitter) un moment de « soumission » : « C’est un jour sombre… une alliance de peuples libres… se résout à la soumission. » Lors du Conseil des ministres quelques jours plus tard, il a persisté dans son décrié : « Il s'agit d'une humiliation. » Ce sera tout en matière de réaction politique française. Son collègue chancelier allemand Friedrich Merz s’est félicité d’un accord qui « évite une escalade inutile ».
Il ne faut pas attendre plus qu’un tweet de Bayrou, qui n’ira pas remettre en question à Bruxelles cet accord léonin. La complexité du processus décisionnel à 27 et la crainte d’une escalade commerciale rendent impossible toute réponse collective rapide. Ursula, qui n’a aucun mandat reçu par voie d’élection, a décidé seule, négocié seule notre capitulation en rase campagne. Et elle en a parfaitement le droit, grâce à notre merveilleuse constitution : en vertu des traités européens, la Commission européenne détient le monopole des initiatives commerciales. En tant que Présidente de la Commission, von der Leyen était la seule à pouvoir parler au nom de l’UE sur ce sujet. Après tout, elle avait déjà bien négocié en secret les 39 milliards d’achat de vaccins Pfizer alors qu’il y avait une commission d’achat européenne pour cela… et que cette fois, elle violait ses propres institutions. Pour faire face aux critiques, Ursula Von der Leyen a évoqué son devoir d'agir « relentlessly » (inlassablement !) pour protéger l'UE tout en privilégiant la voie de la négociation. Heureusement qu’elle nous protège !
La logique ne s’arrête pas aux frontières de l’UE. La Suisse, longtemps épargnée, a elle aussi été visée par Washington. Elle devient l'un des pays les plus taxés, avec 39% sur ses produits exportés. Les États-Unis ont imposé des taxes supplémentaires à plusieurs secteurs helvétiques, notamment l’industrie mécanique et chimique, tout en maintenant deux exemptions symboliques : l’or – car il reste une valeur refuge dans laquelle Wall Street a un intérêt évident –, et la pharmacie, dont les géants bâlois approvisionnent directement le marché américain. Ces « tolérances » ne sont pas un cadeau : elles traduisent un calcul stratégique, préservant les flux utiles tout en sanctionnant le reste.
Victorinox et Thermoplan, entre autres, envisagent des solutions pour rester compétitifs, des ajustements de prix jusqu'aux délocalisations partielles (https://www.blick.ch/fr/suisse/certaines-envisagent-la-delocalisation-comment-les-marques-suisses-tentent-de-contourner-le-choc-douanier-id21146622.html). Pour la marque de couteaux suisses, emblématique, cela concernerait à ce stade «les possibilités de réaliser certaines étapes de travail, comme le nettoyage final et l'emballage des couteaux professionnels directement sur place» aux Etats-Unis. «Une délocalisation de la production à l'étranger, surtout pour les couteaux de poche, n'est pas une option pour nous», a appuyé M. Elsener, directeur général. Pour l’instant ? Mais les Allemands ont la solution pour la Suisse : pour mieux résister, qu'ils adhèrent à l'UE ! https://www.letemps.ch/suisse/le-vice-president-du-bundestag-allemand-suggere-une-adhesion-de-la-suisse-a-l-ue. On n'est pas le premier avril pourtant !
3. Quand la bombe remplace le tarif
La même logique se retrouve sur le terrain militaire. En janvier 2020, l’US Air Force a mené une frappe simulée contre des installations iraniennes avec une précision glaçante. Sept bombardiers furtifs B-2 ont été mobilisés, armés de 14 bombes pénétrantes GBU-57 capables de transpercer les bunkers les plus enfouis. Le message était clair : Washington n’a pas besoin de l’aval de ses alliés ni de l’ONU pour juger de la menace.
L’élection de Trump a ouvert la voie à des attaques israéliennes contre l’Iran (https://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/l%C3%A9lection-de-trump-a-ouvert-la-voie-%C3%A0-des-attaques-isra%C3%A9liennes-contre-liran/ar-AA1KmzlU?ocid=BingNewsSerp) et c’est dans ce contexte annoncé depuis des mois qu’il faut comprendre l’attaque américaine après que Trump, fin mai 2025, a demandé aux Israéliens de ne pas bombarder eux-mêmes.
N'écoutant pas son allié américain, le 13 juin, Israël a lancé de multiples frappes terrestres et aériennes sur l'Iran, tuant de hauts responsables militaires, des scientifiques nucléaires et des hommes politiques iraniens, et endommageant ou détruisant les défenses aériennes et les installations nucléaires militaires iraniennes. L'Iran a riposté par des frappes de missiles et de drones sur des villes et des sites militaires israéliens, avec l'aide des Houthis au Yémen, alliés de l'Iran.
En juin 2025, Netanyahou aurait informé Trump que l'Iran envisageait de l'assassiner et a exposé en détail comment l'Iran augmentait son stock d'uranium et faisait progresser sa technologie de centrifugation. Il a fallu environ une semaine à Netanyahou et Ron Dermer (ministre des Affaires stratégiques dans le gouvernement israélien, ancien ambassadeur israélien aux USA de 2013 à 2021) pour convaincre Trump de bombarder l'Iran, Trump et Netanyahou se parlant presque quotidiennement. Le 22 juin 2025, les États-Unis ont mené Operation Midnight Hammer, une frappe contre trois installations nucléaires iraniennes. Les cibles visées ont été les sites de Fordow, Natanz et Isfahan. 7 bombardiers B-2 furtifs, 14 bombes GBU-57 de 30 000 lb (bunker-busters), des Missiles Tomahawk depuis un sous-marin et plus de 125 appareils impliqués, y compris des avions-leurre.
Trump a qualifié l’attaque de « spectaculaire succès militaire » et assuré que les sites étaient « totally obliterated », même si seul un site (Fordow) aurait été temporairement paralysé, les autres touchés marginalement, avec un retard de quelques mois pour le programme iranien.
Ici encore, les États-Unis fixent seuls le cadre, bloquant toute tentative européenne d’équilibre au Proche-Orient. Qu’il s’agisse de sanctionner Téhéran, d’armer Tel-Aviv ou de poser des « lignes rouges » régionales, Washington impose sa lecture et son tempo. Trump se permet de demander depuis Washington à l'annulation du procès pour corruption contre le Premier ministre israélien, procès en cours depuis 2020 à l'encontre du Premier ministre. Ce dernier est accusé de corruption, fraudes et abus de confiance dans trois dossiers. A défaut d'annulation, Donald Trump a réclamé une amnistie que pourrait accorder Isaac Herzog, le président israélien. (https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/apres-la-guerre-israel-iran-netanyahou-a-la-merci-de-trump-2173309).
Cette démonstration de force répondait au programme nucléaire iranien, mais en réalité, elle visait bien plus large : rappeler au monde entier – Chine et Russie comprises – que la dissuasion américaine n’est bornée que par sa propre volonté.
Conclusion : Iran, Europe et Israël, la même cohérence
De l’Inflation Reduction Act aux sanctions douanières contre la Suisse, des pressions sur l’Europe aux frappes en Iran, c’est toujours la même logique qui prévaut : une hégémonie assumée, qui ne tolère aucune limite extérieure. L’Europe, empêtrée dans sa faiblesse stratégique, subit plus qu’elle n’agit. Quant à l’Iran et au Proche-Orient, ils rappellent que derrière les beaux discours de multilatéralisme, c’est bien l’unilatéralisme américain qui continue de régir la scène internationale. La position américaine a le mérite de rappeler que les beaux discours sur les vertus du libre-échange économique ne sont qu'un leurre pour dépouiller les États de leur politique nationale, ouvrir les marchés à la concurrence pour maximiser toujours les profits. Les USA nous rappellent les vertus du protectionnisme : le problème c'est qu'ils sont les seuls à oser s'arroger ce droit. Privilège de l'Empire. Les vassaux n'ont pas d'autre solution que de plier et de continuer à ouvrir leurs économies.