1. La taxe Zucman : un impôt de justice rejeté par une alliance en apparence contre nature
Ce vendredi 31 octobre 2025, l'Assemblée nationale a rejeté la taxe Zucman par 228 voix contre 172. Cette proposition, portée par la gauche et inspirée des travaux de l'économiste Gabriel Zucman, visait à instaurer un impôt minimum de 2 % sur le patrimoine des personnes disposant de plus de 100 millions d'euros de fortune.
Qui aurait été concerné ?
La taxe Zucman aurait touché environ 1 800 foyers fiscaux en France, soit une infime minorité de la population. Ces ultra-riches, qui possèdent chacun plus de 100 millions d'euros, échappent largement à l'impôt grâce à l'optimisation fiscale. Le principe était simple : établir un impôt plancher de 2 % sur leur patrimoine total, sans échappatoire possible.
Quel rendement ?
Selon les estimations, cette mesure aurait rapporté entre 15 et 25 milliards d'euros par an aux finances publiques. Une version allégée proposée par le PS, avec un taux de 3 % à partir de 10 millions d'euros mais excluant les entreprises familiales et innovantes, aurait généré entre 5 et 7 milliards d'euros.
Pour mettre ces chiffres en perspective : 15 milliards d'euros, c'est plus que le déficit des retraites (12 milliards). Une taxe à 2 % financerait la retraite à 60 ans.
Qui a voté contre ?
Le rejet s'est fait par une alliance contre nature : le bloc central (Renaissance), Les Républicains et le Rassemblement national ont tous voté contre cette mesure de justice fiscale. Laurent Wauquiez (LR) s'est même réjoui d'avoir « arrêté la folie fiscale », tandis que Sébastien Lecornu martelait qu'« il n'existe aucun impôt [...] qui ne soit pas censuré par le Conseil constitutionnel, qui soit à fort rendement de 10 ou 15 milliards d'euros ».
Quand les Français penseront que confier le pouvoir au Rassemblement national leur permettrait d’essayer une autre politique, il faudra qu’ils se souviennent de ce vote.
2. L'enrichissement obscène des ultra-riches sous Macron
Pendant que la taxe Zucman était rejetée, les chiffres de l'enrichissement des plus fortunés donnent le vertige.
Une fortune qui a doublé depuis 2017
La fortune cumulée des 500 Français les plus riches est passée de 570 milliards d'euros en 2017 à 1 228 milliards d'euros en 2024, selon le magazine Challenges que personne ne peut soupçonner d’être un brûlot anticapitaliste. En seulement sept ans de mandats Macron, les ultra-riches ont plus que doublé leur fortune.
En 1996, ces 500 fortunes représentaient 80 milliards d'euros. En 2024, elles atteignent 1 228 milliards – soit 42 % du PIB français. En 1996, elles ne représentaient que 6 % du PIB. N’est-ce pas miraculeux ? De qui parle-t-on quand on parle de ras-le-bol fiscal ? Il ne semble pas que les ultra-riches aient beaucoup souffert, ni vraiment contribué à l’effort national.
Les milliardaires n'ont jamais été aussi nombreux
Le nombre de milliardaires en France est passé de 67 en 2014 à 147 en 2024 (pour rappel, un million d’heures égale 11 jours, 1 milliard d’euros 32 ans. Les quatre milliardaires français les plus riches (Bernard Arnault et sa famille, Françoise Bettencourt Meyers et sa famille, Gérard et Alain Wertheimer – les discrets actionnaires majoritaires de Chanel 72 et 75 ans, qui n’ont fait qu’hériter des investissements de leur grand-père, qui vivent à New York et Genève – ils ne paient pas d’impôt en France même si l’an passé ils ont touché de Chanel 5,3 milliards de dividendes) ont vu leur fortune augmenter de 87 % depuis 2020.
Depuis 2020, les 42 milliardaires français ont gagné 230 milliards d'euros, soit l'équivalent d'un chèque de 3 400 euros pour chaque Français.
Comment en est-on arrivé là ?
La responsabilité d'Emmanuel Macron est évidente : suppression de l'ISF dès 2017, flat tax sur les revenus du capital, suppression de l'exit tax, baisse de la CVAE. C’est quoi la CVAE ?
La CVAE (Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises) est un impôt local que les entreprises paient en fonction de leur chiffre d'affaires et de leur valeur ajoutée. Elle ne concerne que les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500 000 euros. Le taux effectif varie entre 0% et 1,5% selon le chiffre d'affaires. Cet impôt finançait les collectivités locales (régions, départements, communes). Emmanuel Macron a progressivement supprimé la CVAE : en 2021, il a annoncé sa suppression progressive ; le taux a été divisé par deux en 2023, sa suppression totale est prévue pour 2027. Cette mesure coûte environ 8 milliards d'euros par an aux finances publiques. C'est un cadeau fiscal massif aux entreprises, qui s'ajoute à la suppression de l'ISF, à la flat tax, etc. Mais les grands gagnants de cette suppression, ce sont les très grandes : une vraie aubaine pour celles là-mêmes qui, d’un autre côté, reçoivent de l’argent public avec le crédit impôt recherche, le CIR qui coûte environ 6 à 7 milliards d'euros par an aux finances publiques. Il faut certes aider les entreprises. Mais qui en profite ? Pas les petites. Principalement les grandes entreprises et les groupes du CAC 40. Les 10 premiers bénéficiaires captent environ 20-25% de l'enveloppe totale (cf. dernier rapport du Sénat sur les financements aux entreprises). Pour les finances publiques et les collectivités locales, c'est un manque à gagner considérable - l'équivalent de la moitié de ce qu'aurait rapporté la taxe Zucman.
Toutes ces mesures ont créé un système fiscal où les plus riches paient proportionnellement moins d'impôts que les autres. Mais ce sont bien sûr les aides sociales qui « coûtent un pognon de dingue » comme disait notre président quand il avait encore le vent en poupe.
Comme l'a souligné ces jours Yannick Jadot au Sénat : « Dans quel régime politique vivons-nous pour que vous défendiez avec ferveur 1 800 foyers fiscaux qui ont plus de 100 millions d'euros de fortune et qui paient moitié moins d'impôts que les autres Français ? »
3. La pauvreté monte pendant que les riches s'enrichissent
Pendant que les ultra-riches voient leur fortune exploser, la pauvreté augmente en France depuis le milieu des années 2000. En 2023, la France compte :
- 5,4 millions de pauvres au seuil de 50 % du niveau de vie médian (1 000 euros par mois pour une personne seule)
- 9,8 millions de pauvres au seuil de 60 % du niveau de vie médian (1200 euros par mois pour une personne seule)
Le taux de pauvreté a atteint 15,4 % en 2023, son niveau le plus élevé depuis 1996. Entre 2002 et 2023, c'est 1,4 million de personnes supplémentaires qui ont basculé dans la pauvreté.
Une fracture sociale qui se creuse
En 2023, une hausse spectaculaire a été observée : +650 000 personnes pauvres en un an (seuil à 60 %). Le 1 % le plus riche captait 7,7 % de l'ensemble des revenus avant impôts au début des années 1980. Cette part atteint 12,7 % en 2022.
Plus de 9 millions de Français vivaient sous le seuil de pauvreté en 2021, alors que dans le même temps, les grandes fortunes battaient tous les records.
4. Les vrais impôts miracles en France
Sébastien Lecornu affirme au Parlement qu'« il n'y a pas d'impôt miracle ». Pourtant, les vrais impôts miracles existent bel et bien en France. Ils s'appellent TVA et TICPE. Et ils pèsent essentiellement sur les plus modestes.
- 4.1. La TVA : le champion toutes catégories
La TVA est la première recette fiscale de l'État français. En 2023, elle a rapporté près de 272 milliards d'euros, un niveau jamais atteint depuis 2007. Pour 2024, les prévisions tablent sur environ 176,9 milliards d'euros de TVA brute.
Sur ce montant colossal, l'État conserve environ 100 milliards d'euros net dans ses caisses (le reste étant reversé aux collectivités locales). Les différents taux de TVA sont :
- 20 % : taux normal
- 10 % : taux intermédiaire (restauration, transport...)
- 5,5 % : taux réduit (alimentation de base, livres...)
- 2,1 % : taux super-réduit (presse, médicaments...)
La TVA rapporte environ 100 milliards d'euros net à l'État, soit un peu plus de 6 fois ce qu'aurait rapporté la taxe Zucman.
Mais la TVA, impôt indirect, est la même pour tous les ménages quels que soient leurs revenus. Mais cela ne veut pas dire qu’elle a le même poids, au contraire ! Imaginez le pourcentage de votre revenu qui part en TVA quand vous gagnez 1000 euros et quand vous en gagnez 10 000, 100 000 ? Cet impôt dit « indolore » car il est invisible ponctionne les revenus modestes de manière beaucoup plus importante que les autres. On est loin de l’égalité devant l’impôt !
4.2. L'impôt sur le revenu : loin derrière
En comparaison, l'impôt sur le revenu ne rapporte que 94,1 milliards d'euros (estimation 2024). La TVA rapporte donc plus que l'impôt sur le revenu, alors qu'elle est un impôt profondément injuste qui pèse proportionnellement bien plus lourd sur les revenus modestes que sur les hauts revenus.
4.3. La TICPE et les taxes sur les carburants
La Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques (TICPE, anciennement TIPP) est une autre vache à lait de l'État. En 2024, la part nette de TICPE revenant à l'État s'élève à 16,4 milliards d'euros.
En 2021, elle avait rapporté environ 17,5 milliards d'euros. En 2022, le montant était de 18,4 milliards. Les taux de TICPE en 2024 sont :
- 69,02 centimes par litre pour le SP95
- 60,75 centimes par litre pour le diesel
À cela s'ajoute la TVA sur les carburants (20 %), ce qui fait que les taxes représentent environ 60 % du prix à la pompe.
Prenons un exemple concret pour montrer l’arnaque du prix du carburant :
En 2018-2019, avec un baril entre 60-75€ et l'essence à 1,56-1,58€ le litre, des centaines de milliers de Français sont descendus dans la rue pour protester contre le prix des carburants. Aujourd'hui, en 2024-2025, le baril est au même prix (60-75€), mais l'essence coûte 1,65 à 1,85€ le litre (soit 0,10 à 0,30€ de plus !), et... silence radio.
Comment expliquer cette différence alors que le prix du brut est comparable ? Les taxes, qui restent élevées et fixes, pèsent bien plus lourd dans le prix final que le coût de la matière première (qui ne représente qu'environ 25 % du prix à la pompe).
5. Un autre modèle, suisse : quand l'impôt sur le revenu compte vraiment
Encore la Suisse, Bruno ? Ben, oui. Il se trouve que la TVA y est bien moins importante. Par rapport à la France, et de ce point de vue… la Suisse est un paradis fiscal mais pas pour les raisons avancées habituellement ! D’abord, parce qu’elle est plus… juste ! Pour mieux comprendre l'absurdité du système fiscal français, comparons un peu avec la Suisse, où la TVA pèse moins lourd.
En Suisse, l'impôt sur le revenu (fédéral, cantonal et communal combinés) représente une part bien plus importante des recettes fiscales que la TVA. Le taux normal de TVA en Suisse est de seulement 8,1 % (contre 20 % en France), avec des taux réduits à 2,6 % et 3,8 %. Le système est donc plus progressif : ceux qui gagnent plus contribuent proportionnellement plus.
Au niveau fédéral suisse, les recettes fiscales pour 2026 sont estimées ainsi :
- TVA : 28,09 milliards CHF (environ 29 milliards €), soit 31,2 % des recettes totales
- Impôt fédéral direct : 31,88 milliards CHF (environ 33 milliards €), soit 35,4 % des recettes totales – Et à cet impôt sur le revenu s’ajoutent les impôts cantonaux et communaux, également sur le revenu. Difficile de trouver ces chiffres, car cela dépend de chaque canton, de chaque commune, mais ils sont chacun au moins aussi importants que l’impôt fédéral.
Voilà qui est bien plus égalitaire !
Conclusion : "Il n'y a pas d'impôt miracle"... sauf pour les riches !
Sébastien Lecornu a raison sur un point : il n'y a pas d'impôt miracle. Mais il se trompe de cible. Les vrais impôts miracles en France existent : la TVA (100 milliards €) et la TICPE (16,4 milliards €) rapportent énormément à l'État. Ensemble, ils génèrent plus de 116 milliards d'euros, soit bien plus que l'impôt sur le revenu (94 milliards €) et près de 8 fois plus que ce qu'aurait rapporté la taxe Zucman.
Quand Sébastien Lecornu affirme qu'« il n'y a pas d'impôt miracle », il oublie de préciser : « il n'y a pas d'impôt miracle pour taxer les ultra-riches ». Mais sur les classes populaires et moyennes, en revanche, la TVA et la TICPE font des miracles... pour vider leurs poches et remplir les caisses de l'État sur leur dos.
Pendant que le RN, Les Républicains et Renaissance refusent de taxer 1 800 foyers ultra-riches à hauteur de 2 %, ce sont des millions de Français qui continuent de payer 20 % de TVA sur leurs achats quotidiens et 60 % de taxes sur leur carburant.
Éteignez les chaines d’info en continu, la télévision publique, France inter et l’ensemble des radios privées et de tous les éditorialistes qui agitent le spectre de l’étranglement des ultra-riches : 1800 foyers fiscaux sur 41 millions, c’est 0,0044 %. 99,996 % des foyers fiscaux n'auraient PAS été concernés. Dans le stade de France de 80000 spectateurs, 3,5 personnes auraient payé ! Mais les médias crient quand même à l’étranglement et au ras-le-bol fiscal des Français dans leur ensemble. Le boulot que je fais ici, entre deux trucs de mon vrai boulot, ils peuvent pas le faire, les Praud et Duhamel dont c’est le métier ? Et arrêter de raconter n’importe quoi ? Arrêter de ne pas nous informer ?
Le vrai scandale n'est pas la taxe Zucman. Le vrai scandale, c'est son rejet. C'est pour protéger 0,0044 % des foyers fiscaux que le RN, LR et Renaissance ont rejeté une mesure qui aurait rapporté 15 à 25 milliards d'euros par an !
Pour l’analyse de la vie politique française, ce dernier épisode est riche d’enseignements.
Après Barnier, Bayrou, Lecornu n’est que le dernier avatar de la même orientation politique et le RN qui l’a soutenu n’est qu’un des visages de cette politique qui depuis des années (le hollandisme ayant été dans la continuité) ne favorise que les ultra-riches… même pas ceux que l’on considère comme riches en France (à partir de 4 056 euros nets par mois (chiffres 2025), soit le double du niveau de vie médian, de 6084 euros pour un couple sans enfant) et qui ne sont que des classes moyennes un peu supérieures !
Cet épisode est une illustration flagrante de la lutte des classes dont je parlais dans un article précédent. Le RN n’est qu’un des masques des intérêts du grand capital rendu récemment acceptable, rendu légitime par la droite et ses médias. Il fallait le rendre acceptable pour que la même politique puisse continuer dans un an ou deux, en faisant croire à une alternance. Les électeurs qui vont voter Bardella en espérant que cela change seront cocus comme toujours. C’est déjà écrit dans le vote de ce jour. Désabusés une fois l’expérience faite, ils augmenteront les rangs des définitivement aigris et la démocratie française sera encore plus en danger.
La démocratie est un régime qui ne peut exister que dans le cadre d’une répartition point trop inégalitaire des charges et des revenus. Quand les inégalités explosent et que le politique les creuse encore, il y a vraiment du souci à se faire !