Quelle paix avec le plan Trump ?

Le 04/10/2025 0

Article du 4 octobre 2025

 

Je m’étais promis de ne plus revenir sur Israël-Palestine après mes cinq articles. Mais voilà que s’enthousiasment politiques et commentateurs parce que Trump et Netanyahou ont présenté un "nouveau plan de Paix" pour Gaza en 20 points. Et le Hamas, menacé avec le peuple palestinien « des feux de l’enfer » (dixit Trump) en cas de refus avant dimanche, vient d’accepter l’essentiel des conditions.

 

Accepter un plan le couteau sous la gorge : est-ce vraiment cela qui conduira à la paix ? J’ai quelques doutes.

Pour celles et ceux qui ont quelques minutes, il vaut la peine de regarder ce que le plan porte en creux comme intentions. Le plan est exhaustivement repris dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/.../gaza-les-vingt-propositions-du....

Je vous laisse lire et vous faire une idée mais je ne pense pas trahir l’esprit ni la lettre du texte en disant que l'idée de base du plan peut se résumer ainsi : mise sous tutelle américaine de Gaza, capitulation du Hamas, retour des otages israéliens contre un cessez-le-feu, reprise de l'aide humanitaire et promesses de reconstruction. L'horizon politique d'un État palestinien ? il est toujours plus au fond de l'abîme.

Dans l’enthousiasme général, je m’interroge : cela ne frappe pas les esprits de voir un plan de paix proposé par une seule partie belligérante, celle qui réduit l’autre à essayer de survivre sous les bombes, sans que l’autre ne soit associée ?

Apparemment, cette perspective n’interroge guère les responsables européens. Voici un résumé des premières déclarations favorables au plan Trump pour Gaza de la part de responsables politiques français et européens. Ce point de vue est documenté à partir des déclarations disponibles sur https://fr.euronews.com/my-europe/2025/09/30/les-dirigeants-de-lue-saluent-le-plan-de-trump-pour-gaza-et-exhortent-le-hamas-a-laccepter

Ursula von der Leyen a souligné que l'UE "est prête à contribuer" au succès de la proposition et a déclaré : "Une solution à deux États reste la seule voie viable vers une paix juste et durable au Moyen-Orient, avec les peuples israélien et palestinien vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité, à l'abri de la violence et du terrorisme". Dans la foulée Kaja Kallas (Haute Représentante de l'UE pour les affaires étrangères) a également exprimé sa confiance :  "Le plan du président Trump pour Gaza est une opportunité pour une paix durable. Il offre la meilleure chance immédiate de mettre fin à la guerre" et "Israël a signé le plan. Le Hamas doit maintenant l'accepter sans délai, en commençant par la libération immédiate des otages". Pour la Commission, la messe est dite et pas d’alternative. Le plan est ok ! António Costa (Président du Conseil européen) a souligné la nécessité urgente de parvenir à une solution fondée sur la coexistence de deux États, qualifiant la situation dans l'enclave d'"intolérable".

Pour les dirigeants européens, même son de cloche. Friedrich Merz (Chancelier allemand) a déclaré que le plan était "la meilleure chance" de mettre fin à la guerre depuis les attaques du Hamas en 2023 et a ajouté : "En ce moment crucial, nous sommes en contact étroit avec les États-Unis, nos voisins européens et nos partenaires dans la région". L’italienne Giorgia Meloni a salué la proposition de Donald Trump comme un "projet ambitieux pour la stabilisation, la reconstruction et le développement de la bande de Gaza"et elle a exhorté le Hamas à n'accepter "aucun rôle dans l'avenir de Gaza". L’Espagnol Pedro Sánchez a déclaré qu'il était temps de "mettre un terme à tant de souffrances".  Les dirigeants suédois, roumain, autrichien, portugais et néerlandais ont également publié des réactions similaires, appelant à la mise en œuvre rapide du plan et à des progrès vers une solution à deux États.

Unanimité ! Vite, vite, la balle est dans le camp des Palestiniens. Tout ceci serait bel et bon si, au moins, le plan Trump parlait de cette solution à deux États. Mais ce n’est pas le cas ! L’expression est même carrément absente du texte. Pourtant, ils n’ont plus qu’à accepter. Certains commentateurs disent même que les soi-disant génocidés devraient saisir la balle au bond s’ils sont réellement si maltraités. Quel cynisme !

Les Français sont un peu plus mesurés, pour une fois. La position officielle du pays est exprimée par un communiqué https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/actualites-et-evenements/2025/article/israel-palestine-plan-de-paix-propose-par-le-president-d-j-trump-29-09-25. Il s’agit pour l’essentiel d’un accord, feignant de croire que Trump a suivi les principes de… la France. Cocoricooo !

La France salue le plan proposé par le Président Trump pour mettre fin à la guerre à Gaza, au terme d’intenses efforts diplomatiques qu’elle a conduits avec l’Arabie Saoudite lors de l’Assemblée générale des Nations Unies.

La France se félicite des principes mis en avant par ce plan, en ligne avec la Déclaration de New York adoptée à l’initiative de la France et de l’Arabie Saoudite le 12 septembre, et à laquelle la proposition américaine se réfère :

  • Cessez-le-feu permanent à Gaza, libération de tous les otages et entrée massive d’aide humanitaire sous la supervision des Nations Unies ;
  • Refus de toute annexion et de tout déplacement forcé de population ;
  • Désarmement et exclusion du Hamas ;
  • Mise en place d’une gouvernance permettant la reconstruction de Gaza, le rétablissement de l’Autorité palestinienne dans l’enclave, et d’une mission internationale de stabilisation garantissant la sécurité des Israéliens comme des Palestiniens - dont la France a présidé à New York une réunion de préfiguration ;
  • Relance d’un processus politique visant l’établissement d’un État palestinien vivant en paix et en sécurité aux côtés d’Israël.

La France appelle les parties au conflit à Gaza à se saisir sans délai de ce plan pour mettre fin à cette guerre et rouvrir un horizon de paix et de sécurité collective, qui garantisse le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, le droit du peuple israélien à la sécurité, la stabilité et l’intégration régionale. C’est un moment décisif pour permettre à Israël de retrouver le soutien de ses partenaires, dont la France, pour restaurer avec eux les relations fortes auxquelles nous aspirons, et pour permettre au peuple palestinien de sortir du désespoir et de la violence pour obtenir un avenir libéré du terrorisme et assurant ses aspirations légitimes.

La France se tient prête à travailler à la mise en œuvre de ce plan avec les États-Unis d’Amérique, le gouvernement israélien, l’Autorité palestinienne et l’ensemble des partenaires internationaux qu’elle a réunis à New York.

En quoi la position de la France est-elle un peu différente ? Au moins parle-t-elle de « droit du peuple palestinien à l’autodétermination » et de volonté de voir advenir un « État palestinien » ! C’est très très maigre mais… c’est déjà ça !

Il est temps de se pencher sur ce que représente réellement ce plan américano-israélien. Voyons-en la philosophie.

  1. Plan de paix ou mise sous tutelle coloniale dans une Riviera ?

La Pax Americana sauce Trump semble toujours avoir le même goût : mépriser une partie prenante, la déposséder de tout pouvoir d'agir politique, chercher à prendre avantage économiquement de la situation, vendre une solution comme un win-win en la menaçant d'abandon total en cas de refus. Ici, la perversion est encore plus importante : ce sont les États-Unis et Israël, acteurs de la colonisation en Palestine depuis 75 ans, qui dictent ce "plan de paix". Les Palestiniens n’y sont pas représentés. Ce monde est étrange : on imagine mal Trump et Poutine imposer un plan de paix à l’Ukraine et attendre que le monde les applaudisse ; pour les Palestiniens, c’est pourtant ce qui se joue, avec cynisme et froideur.

Tous les ingrédients de la mise sous tutelle coloniale sont présents. Dans le meilleur des cas, Gaza serait de toute façon amputée d'une zone de sécurité sur tout son contour. On voit sur la carte la zone hachurée. Une nouvelle zone-tampon sous tutelle : les constructeurs israéliens et américains de murs vont se frotter les mains.

Trump gaza

Le territoire sera gouverné par un comité technocratique sous la supervision du président Trump en personne. Le plan semble même ressortir du formol un des acteurs les plus néo-coloniaux des années 2000 : l'ex-premier ministre britannique Tony Blair (voir plus loin). Qui de mieux pour gérer Gaza que celui qui a envahi l'Irak (aux côtés de Georges Bush) et qui a entrainé dans son sillage des centaines de milliers de morts civiles ? La réalité semble ici dépasser la fiction.

En échange de cette tutelle, Gaza recevrait des hôpitaux, de l’eau, de l’électricité, une zone économique spéciale et des investissements. A quelle échéance ? Quels montants ? Qui ? Quand ? Aucun détail. Et derrière ce mirage de renaissance, la population resterait sous tutelle étrangère, privée de souveraineté, simple consommatrice de biens et services. Une Riviera ? Pour certains oui. Pour les autres, toujours une prison. Et une main d’oeuvre corvéable pour les plans amricains et les opérateurs immobiliers. Quand la colonisation par le vide commence à faire un peu trop hurler, on peut toujours se rabattre sur le modèle 2 explicité dans mon article  Israël-Palestine : une colonisation par le vide  : exploitation de la main d’œuvre autochtone.

2. Échange territoire contre pause dans le génocide ?

En Occident, particulièrement dans les chancelleries, le projet est lu comme salvateur. On l’applaudit faute de mieux sur le mode : « Chères opinions publiques solidaires des Palestiniens, vous vouliez la fin du génocide, voilà, c’est fait ». Le plan met sur la table quelques éléments à même de calmer les opinions publiques occidentales : l’arrêt des bombardements, l’acheminement d’une aide humanitaire sous égide de l'ONU, la possibilité laissée à des combattants du Hamas de désarmer, l'éloignement de la perspective de jeter les Gazaouis en Égypte ou ailleurs.

Mais rappelons une évidence : ce ne sont pas des cadeaux américains, ce sont des obligations élémentaires du droit international humanitaire. La fin d’un massacre n’a pas à être troquée contre la reddition politique d’un peuple. Le retrait des forces d’occupation est une exigence du droit, pas une monnaie d’échange. Ce que ce plan installe, c’est une logique conditionnelle : les Palestiniens pourront manger, se soigner, aller à l'école, reconstruire leur maison… à condition de ne pas voter pour un parti qui revendique un État souverain, de renoncer à gérer leurs frontières, leur mer et leur espace aérien, de se déplacer uniquement avec l’aval de l’occupant, d'obéir à des politiques et une police à la solde de l'occupant. Autrement dit, le droit de survivre, mais pas celui de vivre. Ces clauses dictées par l’occupant sont tout simplement contraires au droit international que rappelle Monique Chemillier-Gendreau dans sa plaidoirie à la Cour de justice internationale. Son intervention est ici : https://ujfp.org/plaidoirie-magistrale-de-monique-chemillier-gendreau-a-la-cij/#footnote_6_64838

Le point de droit ici bafoué est abordé l’alinéa 23 de son texte : l’avocate cite l'article 2, paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies.

Il s’agit d’abord du jus ad bellum, ce droit qui régit l’usage de la force par les États. Il  comporte la norme majeure d’interdiction de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre  l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État.

En l’espèce, il est assez évident que ce plan fait recours à la menace et à la force pour attenter et à l’intégrité de la Palestine et à son indépendance politique.

Une petite musique pointe déjà le bout de son nez sous la forme d'un choix cynique : « Tu préfères que le génocide continue ou accepter ce plan ? Tu préfères que les otages restent prisonniers ? » Ce faux-dilemme cache une réalité : accepter la disparition progressive des droits politiques des Palestiniens pour obtenir des biens matériels élémentaires. Le plan n'offre même pas un retour à la situation antérieure au 7 octobre. Ce sera à la fois le blocus, la surveillance de masse et l'amputation territoriale et politique.

3. Quelles perspectives pour la Palestine avec le plan Trump-Blair… puisque c’est ainsi qu’il faut le nommer !

La bande de Gaza serait dirigée par un PDG, responsable devant un conseil d’administration composé à la fois de représentants politiques et de dirigeants économiques de premier plan. Cette entité est présentée comme l’autorité politique et légale suprême. Comme le révèle le New York Times, selon cette proposition, le Hamas serait remplacé à Gaza « par un ‘comité palestinien technocratique et apolitique’. Celui-ci serait supervisé par un ‘Conseil de paix’ présidé par M. Trump, avec M. Blair dans un rôle de premier plan. »  Here’s What We Know About Trump’s Plan for Gaza, The New York Times, 30 septembre 2025.

En mai 2008, peu après la fin de son mandat politique, alors devenu envoyé spécial du Quartet— ONU, Union européenne, États-Unis, Russie) au Moyen-Orient — Blair proposait déjà un premier plan de paix.

En 2016, après avoir quitté cette fonction d’envoyé spécial, Blair créait son think tank, le Tony Blair Institute for Global Change — largement appuyé aujourd’hui par le milliardaire Larry Ellison, clef de voûte du projet de transformation de l’État digital américain sous Donald Trump. C’est par ce biais que le nom de Blair s’est imposé comme incontournable pour le nouveau plan pour Gaza. L’Institut avait en effet contribué à l’élaboration du projet « Gaza Riviera », conçu avec le Boston Consulting Group et dont le Financial Times avait publié en juillet dernier un document de travail. Quelques semaines plus tard, le 27 août, Tony Blair était invité à la Maison Blanche pour discuter de la question avec Donald Trump.

Il y a fort à parier que Blair va mettre en route les grandes lignes de son plan, avec un comité de transition de Gaza, nommé dans son projet Gaza International Transitional Authority. Ce plan est fortement marqué par l’influence idéologique de Curtis Yarvin, un intellectuel majeur de la mouvance néoréactionnaire trumpienne, qui a une conception « monarchique » du pouvoir.  Au lendemain des attaques du 7 octobre, Yarvin avait lui aussi présenté aux abonnés de sa newsletter son propre projet, « Gaza Inc. », qui visait à transformer l’enclave palestinienne en un État-entreprise, alors vidé de ses habitants. La nuance avec le plan actuel doit être là !

Il faut aussi remarquer que le plan Trump-Blair laisse totalement de côté la Cisjordanie et Jérusalem Est. La question israélo-palestinienne est réduite à la bande Gaza, alors que ces deux territoires sont l’objet d’une politique de colonisation. Ceci peut s’expliquer de différentes manières :

L’administration directe par une Autorité non palestinienne, placée sous le contrôle de Trump et des États-Unis permettra de disposer directement de ce territoire stratégique, possédant une façade maritime, des gisements d’hydrocarbure et une frontière avec l’Égypte. Cet aspect constitue l’un des visages renouvelés de l’entreprise de colonisation ;

D’autre part, le silence sur la Cisjordanie permet d’entériner la situation de colonisation progressive que connaît ce territoire palestinien, comme je l’ai montré dans https://informations-covid.e-monsite.com/blog/israel-palestine-une-colonisation-par-le-vide-au-21e-siecle.html. Israël pourra impunément continuer sa politique d’expansion et de spoliation puisque la question palestinienne sera réglée par le plan Trump !

4.  La logique du fait accompli comme nouveau mode de gouvernance mondial

Ce plan a aussi des implications bien au-delà de la Palestine. Il entérine une règle simple : la loi du fait accompli. Israël envahit, bombarde, détruit, commet un génocide. Ses crimes sont documentés en direct. Ce qui vient après ? Non pas la Justice, ni la réparation. Mais un nouveau cadre d'asservissement.

Netanyahou l’a déjà annoncé : Israël restera à Gaza. Les retraits seront conditionnés et toujours réversibles, au bon gré de la puissance occupante. Une présence militaire permanente sécurisera un « périmètre » autour de l’enclave (cf carte ci-dessus). Bref, Gaza ne sera jamais pleinement libre. Israël refusera également une solution à deux États. Le signal envoyé au reste du monde est limpide : il est désormais possible de commettre un génocide, d’écraser un peuple, et d’obtenir ensuite la reconnaissance de son contrôle territorial par les grandes puissances. C’est une régression historique : un retour aux logiques coloniales du 19ème et 20ème siècle, maquillées en perspectives d'apaisement.

Il y a comme un parfum d’accords de Sykes-Picot dans l’air. Sykes-Picot, c’est le traumatisme du monde arabe : en 1916, deux empires coloniaux, la France et l’Angleterre, découpent en secret le monde arabe sur une carte, après la chute prévue de l'Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale, et qui se le partagent. À toi (France), le Liban et la Syrie, à moi (Angleterre), la Jordanie et la Palestine. Ici, le procédé est identique : Américains et Israéliens font main basse. Où sont les Palestiniens dans ce « plan de paix » ? Nulle part. Où est la dignité d’un monde qui prétend porter des idées de droit et de justice ? Nulle part.

Quelques jours après avoir proclamé et reconnu la Palestine à l’ONU, on l’enterre à nouveau.

En ajoutant un nouveau clou dans le cercueil du droit international et en glissant à toute vitesse vers un nouvel ordre mondial fondé sur la loi du plus fort. Et à ce jeu-là, ce qu'il reste de nos démocraties finira par tomber. Mais Trump va pouvoir concourir pour le Prix Nobel de la Paix. La date limite était le 10 octobre. In extremis !

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