En achetant Twitter, il n’a fait qu’imiter ses collègues milliardaires américains et européens qui ont décidé après la crise des subprimes que le plus sûr moyen de ne plus être désignés comme les responsables des crises économiques, c’était d’acheter les médias. Concentration des médias audio-visuel-écrits jamais vue entre les mains de quelques-uns. En France, la concentration capitalistique a été très rapide.
Quelques milliardaires se partagent le gâteau (infographie du Monde diplomatique) :

Les numéros à côté de leur nom signalent leur rang dans les fortunes française ou étrangère.
Au passage, ils empochent les subventions publiques, nos impôts, car il faut bien que l’État soutienne un secteur en crise ! Notre argent aide donc chaque année une poignée de milliardaire à nous diffuser leur idéologie, via des rédactions soigneusement choisies pour leur docilité et leur pensée unique. Cette pensée unique en matière d’économie est faite d’ultralibéralisme, de chasse aux dépenses sociales - comme si ce n’étaient que dépenses et pas investissement ! – de baisse d’impôts, de cadeaux aux grandes entreprises sans contrepartie et de, partout, moins d’État. Passons, on y reviendra dans une future livraison. Partout le même refrain. Pensée unique aussi sur le Covid, sur la Russie, sur l’origine humaine indiscutable du réchauffement actuel et ses conséquences désastreuses annoncées.
Là où il y a « débat » possible, et c’est le seul point de clivage apparent des rédactions, c’est le sociétal, entendez les règles du vivre-ensemble : plus ou moins d’inclusion, plus ou moins d’autorité, plus ou moins d’ouverture à l’Autre (sexuel, étranger, générationnel).
Là-dessus on va pouvoir faire semblant d’être encore en démocratie et on va débattre : telle rédaction sera traditionnelle, dite « de droite », l’autre sera plus « woke », dite « de gauche » : c’est sur ce terrain que ce qui reste de la gauche semble s’être réfugié pour exister, abandonnant à de rares exceptions près le terrain économique et les classes populaires, idéologiquement et économiquement dominées comme jamais. Mais je reviendrai une autre fois sur ce qu’est la gauche aujourd’hui, dans une autre livraison. Revenons à nos moutons.
1. La censure organisée sur les réseaux sociaux
Pourquoi Musk a -t-il racheté Twitter ? Pour être sûr d’avoir encore un réseau social où il puisse s’exprimer. Il l’a dit et écrit au moment du rachat. A l’époque, le réseau social Facebook, pas encore devenu Meta ou juste en passe de le devenir, pratiquait un contrôle assez sévère des contenus. Il fallait lutter contre la désinformation. C’est le Covid qui va être l’occasion de la mise en place du contrôle de l’information sur les réseaux sociaux. Rappel des faits avec le cas Facebook :
- En février 2020, Facebook annonce qu'il supprimera les contenus contenant des "fausses informations" et des théories du complot concernant le COVID-19. Cela inclut les affirmations débunkées par des organisations comme l'OMS (Organisation mondiale de la santé) ou des autorités sanitaires locales.
- Avec le début de la campagne de vaccination mondiale, en décembre 2020, Facebook renforce sa politique en ciblant les fausses informations sur les vaccins contre le COVID-19. Facebook élargit la liste des fausses informations interdites, incluant des affirmations telles que :
- « Les vaccins ne sont pas efficaces pour prévenir la maladie. »
- « Les vaccins n’empêchent pas la transmission. »
- « Le virus a été créé par des humains en laboratoire » (une position encore débattue).
- Tout au long de la pandémie (2020-2022), Facebook a utilisé des étiquettes d'avertissement sur les contenus liés au COVID-19 pour signaler des informations potentiellement trompeuses. La plateforme a travaillé avec des partenaires tiers pour fact-checker les publications et réduire leur visibilité si elles contiennent de la désinformation.
On se souvient que le compte Facebook de Trump a été désactivé en janvier 2021 pour deux ans. Pareille mésaventure est aussi arrivée à de simples citoyens pendant le Covid : suspendus pour manquement au code déontologique du réseau, pour diffusion de contenus jugés comme fake news, comme désinformation.
Mais qui juge de la vérité ? Qui dit ce qu’est l’information et où se trouve la désinformation ? Ce rôle a été dévolu dans nos démocraties à des gens payés, salariés, stipendiés pour « dire le vrai » : les fact-checkers. Drôle de profession : des gens qui savent, sur tous les sujets, qui séparent le bon grain de l’ivraie. Ils ont fait commerce de leur position, alliés du Pouvoir, du bon côté du manche de la censure. Ils incarneraient l’objectivité, la Vérité, au-dessus du débat donc : en France, Rudy Reichstadt, Tristan Mendes France et quelques autres parangons de Vérité se sont auto-institués fact-checkers. Mais ces gens-là ne représentent qu’eux-mêmes et que ceux qui leur donnent un pouvoir qu’ils n’ont pas. Accepter ce fonctionnement, cette délégation du régime de vérité, c’est mettre le doigt dans un terrible engrenage. Facebook l’a accepté en raison des pressions du pouvoir.
Ce qui nous ramène aux déclarations récentes de Mark Zuckerberg, accusé par toute la presse bien-pensante européenne de faire soudain allégeance à Trump pour « sauver sa peau ». En réalité, dès l’été 2022, Zuckerberg a commencé à parler. Sauf que les médias dominants ne s’en sont pas fait l’écho. Parce que cela ne cadrait pas avec leur propre vision, sur laquelle je reviens plus loin, leur amour de la censure et de la propagande. Retour sur ce petit épisode de l’été 2022, en fin de pandémie Covid.
2. Quand Zuckerberg mange le morceau : la fin annoncée du fact-checking
Les États-Unis, avec leur système fédéral, ont plusieurs gouvernements, plusieurs systèmes de justice, si bien qu’il est plus difficile que dans un État centralisé comme la France de tout contrôler. Pendant l’été 2022, la justice de deux États (Missouri et Louisiane) a commencé à réunir des preuves des pressions du pouvoir sur les réseaux sociaux, des éléments montrant que les représentants du gouvernement donnaient des instructions sur la manière de signaler les cas de désinformation présumée et de contrer les « faux récits ». Les procureurs généraux du Missouri, Eric Schmitt, et de la Louisiane, Jeff Landry, ont obtenu légalement en demandant à la cour de district de statuer sur la question, les courriels que les employés et les responsables des médias sociaux ont échangés. Ils ont dû batailler contre l’administration fédérale, mais ils y sont parvenus. En mai 2022, explique M. Schmitt, le Missouri et la Louisiane ont intenté une action en justice visant à prouver la collusion présumée entre de hauts fonctionnaires de l'administration Biden et les entreprises de médias sociaux pour censurer la liberté d'expression sur toute une série de sujets, y compris le Covid-19. En juillet, le tribunal entrait en possession d'une série de documents démontrant clairement que le gouvernement fédéral entretenait une relation avec les entreprises de médias sociaux pour censurer la liberté d'expression. Les échanges de courriels ont révélé « une vaste entreprise de censure au sein d'une multitude d'agences fédérales ». Quarante-cinq fonctionnaires fédéraux ont été identifiés comme étant engagés dans la communication avec les médias sociaux au sujet de la « désinformation » et de la censure. « Meta, par exemple, » lit-on dans la déclaration des deux procureurs généraux – « a révélé qu'au moins 32 fonctionnaires fédéraux, dont des hauts fonctionnaires de la FDA, de l'Election Assistance Commission et de la Maison Blanche, ont communiqué avec Meta au sujet de la modération des contenus sur ses plateformes, dont une grande partie n'a pas été divulguée. YouTube a également divulgué le nom de 11 fonctionnaires fédéraux impliqués dans de telles communications, y compris des fonctionnaires du Census Bureau et de la Maison Blanche, dont beaucoup n'ont pas été divulgués ».
Les documents obtenus « montrent que cette entreprise de censure est extrêmement vaste » et inclut des fonctionnaires de la Maison Blanche, du Département de la Santé (HHS), du ministère de l'intérieur (DHS), de l'agence pour la cybersécurité (CISA), de l'agence pour la protection de la vie privée et de l'environnement cybersécurité (CISA), des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) des maladies (CDC), l'Institut national des maladies infectieuses (NIAID) et l'Office of the Surgeon General.
Twitter a été contraint de suivre la même procédure que YouTube et Facebook.
Dès l’été 2022, qui veut se donner la peine de voir la censure sur les réseaux sociaux peut donc savoir. Encore faut-il avoir accès à ces informations, que les médias mainstream ne relaient pas. Ce sont quelques réseaux sociaux, quelques médias alternatifs qui le font. Danger pour la démocratie ? C’est à la fin de ce même été que Marc Zuckerberg commence à parler à son tour, en tant qu’acteur de premier plan. De toute manière, tout va se savoir bientôt du fait des affaires Missouri et Louisiane. Se savoir oui, mais se transmettre, c’est une autre histoire, en parler pour que cela devienne une « nouvelle », c’est autre chose. Quelque chose qui n’est pas « vu à la télé » n’existe pas…
En août 2022, il participe à l’émission Podcast d’un certain Joe Rogan, ancienne vedette de MMA et … suspect de complotisme. Rien que cela est intéressant du point de vue de la fabrication de l’information. Certaines paroles, du fait des mécanismes de censure précisément dénoncés, ne peuvent s’exprimer que dans des médias alternatifs. Leur contenu se trouve de fait frappés du sceau du soupçon, alors que tout ce qui se raconte dans les médias traditionnels est d’emblée considéré comme digne de foi. Zuckerberg parle déjà en termes clairs de la censure que le FBI a imposé sur un premier sujet bien précis : les contenus de l’ordinateur de Hunter Biden, fils de Joe Biden. Extraits de son émission de 2022.
« Le FBI est venu nous voir, quelques personnes de notre équipe, [en disant], 'Hey, juste pour que vous sachiez, vous devriez être en alerte... Nous pensions qu'il y avait beaucoup de propagande russe dans l'élection de 2016, nous avons remarqué qu'en gros, il y aura une sorte de merde comme ça, alors soyez vigilants'. »
Et Zuckerberg a poursuivi : « Hé, écoutez, si le FBI - que je considère toujours comme une institution légitime dans ce pays, une application très professionnelle de la loi - vient nous voir et nous dit que nous devons être vigilants à propos de quelque chose, je veux le prendre au sérieux. »
Que se passa-t-il à la suite de cette entrevue avec le FBI ? Lorsque, le 14 octobre 2020, le New York Post a publié son gros article sur l'ordinateur portable de Hunter Biden, Facebook a traité cette publication comme une « fausse information potentielle, fausse information majeure » pendant cinq à sept jours. Et pendant cette période, il a réduit la diffusion de l'article. Il obéissait au FBI. « Vous pouviez toujours la partager, vous pouviez toujours la consommer », a expliqué M. Zuckerberg au micro de Joe Rogan mais « moins de personnes l'ont vue qu'elles ne l'auraient fait autrement ». Et, bien que Zuckerberg n'ait pas quantifié l'impact, il a déclaré que la réduction de la circulation était « significative »
De son côté, Twitter a purement et simplement interdit le profil du New York Post, et bloqué le profil de la campagne Trump pour l'empêcher d'en parler. Twitter a censuré l'article en entier, l'empêchant d'être relayé. Difficile de savoir quels autres médias, nouveaux ou grand public, ont reçu un tel avertissement mais sans doute tous.
Pour celles et ceux qui n’auraient, du fait de cette censure, pas entendu parler de l’ordinateur du fils Biden, voici un rappel des faits : il est aujourd’hui établi que Hunter Biden a négligemment laissé son MacBook en réparation après un dégât des eaux et le contenu en a été copié… Le disque dur révèle que Hunter Biden a rejoint le conseil d'administration de Burisma Holdings, une grande entreprise énergétique ukrainienne, en 2014, touchant 50 000 dollars par mois pour ce rôle sans avoir aucune expérience particulière dans le secteur de l'énergie ou en Ukraine. Cette nomination est intervenue alors que son père, Joe Biden, était vice-président des États-Unis et jouait un rôle clé dans la politique américaine envers l'Ukraine, notamment après la révolution de Maïdan.
En 2020, lorsque l'histoire a été révélée, comment le pouvoir américain a-t-il traité cette information assez gênante en pleine campagne électorale ? Ils ont affirmé que cet ordinateur était une invention, qu’il n’existait pas, que tout cela était une opération de désinformation russe visant à influencer les élections présidentielles. Toujours et déjà la piste russe qui manipulerait les élections occidentales. Quel pouvoir ! On y reviendra dans un prochain article.
Mais les faits sont têtus : deux ans après, en 2022, plusieurs médias dont le New York Times et le Washington Post ont confirmé l'authenticité des e-mails les plus compromettants, extraits de l’ordinateur. L’affaire est en cours, certains des faits révélés pouvant potentiellement entraîner des poursuites.
Dans ce cas précis, où était l’information ? Qu’est-ce qui était désinformation ? Joe Biden a bel et bien bénéficié de la mise en place d’une censure, d’une campagne de désinformation orchestrée dans tous les réseaux sociaux et médias dominants et il a pu être élu alors que le cours des élections aurait pu être changé en cas d’investigation. Il n’y avait pas de propagande russe derrière. Les réseaux sociaux ont bel et bien une importance considérable de nos jours sur la vie démocratique : on y reviendra dans le prochain article avec la Roumanie et l’Allemagne. Mais où étaient alors en ces temps de censure les actuels contempteurs de Musk et Zuckerberg ? De leur côté. Pourquoi ? parce qu’ils censuraient.
Ces pressions de l’administration américaine, Mark Zuckerberg les a à nouveau dénoncées en août 2024. Cette fois, il a parlé des pressions exercées par l’administration Biden sur Facebook pour la censure des contenus liés au COVID-19 pendant la pandémie. Dans le cadre de l’enquête du Congrès sur la gestion de la crise Covid, il a adressé une lettre officielle au président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jim Jordan, exprimant ses regrets de ne pas avoir dénoncé à l’époque les pressions gouvernementales. Il a précisé que des responsables de haut niveau de l'administration avaient "répété des pressions" pour que Facebook supprime certains contenus, y compris des publications humoristiques et satiriques sur le COVID-19. Zuckerberg a reconnu que céder à ces demandes avait été une erreur et a souligné l'importance de maintenir des normes de contenu neutres, indépendamment des influences gouvernementales. Quand Zuckerberg fait ces déclarations à la Chambre des représentants, on est en août 2024, en pleine campagne électorale : Kamala Harris a le vent en poupe, et tous les médias font campagne pour elle. La victoire de Trump est loin d’être assurée et pourtant Zuckerberg lâche le bateau de l’administration démocrate et dénonce la censure. Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, Taylor Swift tentait de rallier ses fans au vote démocrate. Personne ne s’en offusquait, à juste titre. Liberté d’expression d’abord.
Et voilà qu’à quelques jours de l’investiture de Trump, il revient encore en détail sur ses accusations, dans un deuxième podcast avec Joe Rogan, le 10 janvier 2025. Rien de fondamentalement nouveau sur le fond, mais quelques extraits intéressants sur la production de l’information en temps de Covid sous Biden :
« Pendant l'administration Biden, alors qu'ils essayaient de lancer le programme de vaccination, alors qu'ils essayaient de promouvoir ce programme, ils essayaient également de censurer tous ceux qui s'y opposaient. Ils ont fait pression sur nous pour que nous supprimions des choses qui, honnêtement, étaient vraies... Ils nous ont dit : « Tout ce qui dit que les vaccins peuvent avoir des effets secondaires, vous devez le supprimer ».
Les membres de l'administration Biden appelaient notre équipe, leur criaient dessus et les injuriaient... Il y a des documents, tout est public. »
Les fake news d’hier sont devenus les vérités d’aujourd’hui. Personne dans l’administration Biden ne peut contester ces pressions. Zuckerberg a les pièces. Ce qui change en janvier, dans l’attitude de Zuckerberg, c’est qu’il déclare maintenant vouloir mettre fin au financement du fact-checking.
Cris d’orfraie des concernés qui voient la vache à lait se tarir. Alors comment nos médias traitent-ils l’information ? Les fact-checkers professionnels dénoncent le ralliement soudain à Trump, la bascule dans le camp d’Elon Musk, la peur de Zuckerberg face à Trump, la nécessité pour lui de sauver sa peau. Ils parlent de pouvoir autoritaire auquel Facebook ferait soudain allégeance, de dictature. En disant cela, ils sont à l’exact opposé des faits : le petit historique que je viens de rappeler montre que le pouvoir autoritaire était celui de l’administration Biden et que cela fait deux ans que le patron de Meta dénonce la censure d’un pouvoir autoritaire, au profit d’une stratégie (politico)industrielle.
3. Les États-Unis contre l’Europe : le retour du libertarisme américain
Dans tous les médias, vous lirez et entendrez que Musk et Zuckerberg attaquent l’Europe et sa conception d’une information juste et contrôlée, cette Europe dans laquelle grâce à l’arsenal de mesures prises depuis 2017, le même type de contrôle dénoncé par Zuckerberg s’est mis en place légalement.
De fait, l’Union Européenne se trouve prise à rebours, lâchée en rase campagne par ce partenaire américain qui, pendant toutes ces années, empilait de son côté les mesures de contrôle de l’information : administration démocrate (Biden) et UE, même combat contre la « désinformation ». J’ai écrit un blog entier sur les mesures que la France et l’UE ont prises. Je vous y renvoie https://informations-covid.e-monsite.com/blog/informer-un-peu-tant-qu-on-peut-encore.html
J’en reprends l’essentiel. Le 17 février dernier est entré en vigueur le DSA, un dispositif européen voulu par Thierry Breton pour mieux censurer sur les réseaux sociaux, notamment Twitter (X), lequel persiste à promouvoir la liberté d’expression sur sa plateforme. Selon Breton, commissaire européen au marché intérieur, « dans bien des cas, l’espace numérique est une zone de non-droit. Il s’agit pour l’Europe de reprendre la main sur les plateformes structurantes […]. »
Les réseaux sociaux sont priés de faire le ménage. Voici Wikipedia pour résumer ce qu’est le DSA :
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A8glement_sur_les_services_num%C3%A9riques
Et voici l’original si vous avez le temps : Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32022R2065
En France, pour compléter le DSA européen créé par le Français Breton, E. Macron a créé le dispositif Viginum, en 2021, par simple décret, sans même passer par le Parlement. La CNIL avait alors exprimé de lourdes craintes, car l’agence s’est vu octroyer le droit, via la surveillance des réseaux sociaux, d’obtenir une fiche précise de vos opinions en croisant tout ce que vous dites sur Facebook, Twitter (X), YouTube, etc. et de communiquer tout cela à d’autres services de l’État. Vous avez « aimé » l’opinion d’un opposant au président Macron ? Viginum le sait. Un petit pouce bleu pour soutenir le professeur Raoult ? Viginum le sait. L’agence peut faire le compte de vos « mauvaises opinions ». Et conduire à vous faire censurer. Allez voir vous-même le site, je ne filtre pas l’information, moi !
https://www.sgdsn.gouv.fr/notre-organisation/composantes/service-de-vigilance-et-protection-contre-les-ingerences-numeriques
Créé le 13 juillet 2021 VIGINUM répond à un défi majeur : Protéger le débat public contre les ingérences numériques étrangères.
Ses missions
La mission principale de VIGINUM est de détecter et de caractériser des ingérences numériques étrangères affectant le débat public numérique en France.
Pour ce faire, le service étudie les phénomènes inauthentiques (comptes suspects, contenus malveillants, comportements anormaux, aberrants ou coordonnés) qui se manifestent sur les plateformes numériques.
Viginum est un panoptikon numérique qui enregistre tous nos positionnements.
Jusqu’à l’élection de Trump, l’Europe et les États-Unis marchaient donc main dans la main pour censurer. Cela a bien fonctionné : aucun média français et quasiment aucun média européen ne parle du procès contre Ursula Von der Leyen ; les faits remontent pourtant au printemps 2024, tribunal de Liège, mais il ne fallait pas risquer de gêner sa reconduction à la Commission. Pour m’amuser et si vous avez un peu de temps en plus, je vous livre le fact-check qu’est contraint de faire ce 7 janvier un organisme de fact-check appelé DPA de ce procès en cours à Liège, car la procédure continue, loin des médias français :
https://dpa-factchecking.com/belgium/241125-99-139870/
Je trouve leurs circonvolutions assez drôles, vous ferez vos commentaires vous-mêmes.
Mais depuis l’élection de Trump et avec l’arrivée de Musk, c’est une vieille tendance américaine qui revient au pouvoir : l’idéologie libertarienne. Il s’agit d’un des visages de la droite américaine, un courant de pensée politique qui place au-dessus de tout la liberté individuelle, le libre marché, et une intervention minimale de l'État dans la vie des citoyens, à la croisée des traditions libérales classiques et conservatrices. Les libertariens défendent fermement les libertés civiles, y compris la liberté d'expression, de religion. Tout est bon à penser et à dire.
Musk peut être considéré comme un représentant de ce courant, qui revient au pouvoir avec Trump. En rejetant la censure a priori des informations publiées sur leurs réseaux, Zuckerberg et lui reviennent en quelque sorte à des fondamentaux de la politique américaine, ceux du premier amendement de 1791 :
Le Congrès ne fera aucune loi ayant pour objet l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice, ni restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou le droit du peuple de se rassembler pacifiquement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour obtenir réparation des torts.
Les Etats-Unis reviennent à leurs fondamentaux pendant que l’Europe – et les différents Pouvoirs en place – s’est installée depuis une décennie dans le confort d’un contrôle sans cesse accru de l’information. Le grand écart entre l’Empire et ses vassaux est total sur ce point. Il a un mérite : il pousse les dirigeants européens à sortir du bois et à montrer, sans le vouloir, leur caractère de plus en plus totalitaire, de moins en moins démocratique.
- Les réactions politico-médiatiques en France
En France, c’est l’indignation quasi-unanime. Il faudrait d’urgence quitter Facebook et quitter le réseau X. C’est un concours à celui qui montrera qu’il est le plus attaché à… mais à quoi au juste ? À la liberté d’expression ? Je me marre… À la Vérité ? Je me marre aussi, jurisprudence ordinateur Biden et Covid oblige.
Anne Hidalgo, Sandrine Rousseau, Marine Tondelier proclament haut et fort qu’il faut en finir avec la fréquentation de ces réseaux, qui deviendraient soudain des repères idéologiques de l’extrême droite américaine, des « machines de désinformation » (Sandrine Rousseau). Pour essayer d’y voir un peu plus clair, je vais donner la parole à un scientifique, « mathématicien et directeur de recherche au CNRS », promouvant l’initiative HelloQuitteX, en interview pour Ouest France :
https://www.ouest-france.fr/high-tech/twitter/entretien-david-chavalarias-lurgence-est-de-quitter-x-et-demain-facebook-92218ea8-cdb0-11ef-8d90-909e2a097509
Le mathématicien et directeur de recherche au CNRS décrypte les dangers de X (ex-Twitter) depuis qu’Elon Musk l’utilise pour son projet politique, et de Facebook, dont Mark Zuckerberg vient de changer les règles. « On ne peut pas laisser l’opinion publique aux mains de réseaux sociaux dépourvus de toute éthique et qui assument utiliser les données à des fins idéologiques », dit-il. Il explique l’initiative HelloQuitteX qui veut faciliter le départ collectif de X le 20 janvier.
Après ce chapeau de présentation par le journal, voici ses analyses, extraites de l’article Ouest France :
« Ces réseaux présentent désormais un risque systémique pour les démocraties, il faut en sortir collectivement »
Quand ils étaient soumis à un régime de contrôle par le Pouvoir du régime de vérité, quand ils interdisaient la diffusion d’informations pourtant au moins possibles (pour ne pas dire « qui se sont révélées vraies »), ces réseaux contribuaient donc à la démocratie ? Et c’est une fois libérés de ce Pouvoir, qu’ils deviennent un « risque systémique » pour les démocraties. Je peine à comprendre. Pour ma part, je vois là une inversion complète du réel, du moins dans ma conception (seulement personnelle ?) de la démocratie. Peut-être faudrait-il que ce mathématicien définisse ce qu’il appelle démocratie, sinon... Poursuivons :
« Comme le rappelle l’historien américain Timothy Snyder, la plus grande partie du pouvoir de l’autoritarisme est donnée librement. Avant même que Donald Trump soit investi, des individus réfléchissent à l’avance à ce que celui qui dit admirer la loyauté des généraux de Hitler voudra, puis ils le lui offrent sans qu’on le leur demande. En s’adaptant de cette manière, des hommes d’affaires comme Mark Zuckerberg apprennent au pouvoir ce qu’il peut faire. Le fait que le patron du réseau social aux deux milliards d’utilisateurs obéisse ainsi en avance, et si rapidement, doit tous nous alerter. Cela montre à quel point les États-Unis sont prêts à basculer dans l’autoritarisme et l’importance qu’auront les réseaux sociaux pour ce régime. »
Au lieu de citer un historien américain, notre mathématicien ferait mieux de lire La Boétie qui a, le premier, théorisé la servitude volontaire. Passons. Puis il associe Trump à Hitler, on appréciera le procédé, et il déforme la réalité en disant que Zuckerberg obéit en avance à Trump, juste avant que celui-ci n’arrive au pouvoir. Notre passionné de démocratie oublie que c’est en été 2022 que Zuckerberg commence à dénoncer la censure. Je l’ai rappelé, montré. Faisant cela, soit David Zalarias désinforme volontairement, soit il n’est pas lui-même assez informé et participe à son insu à une entreprise de désinformation en colportant le discours dominant sans vérification. Suite des extraits :
Quels seront les conséquences concrètes et les dangers à venir ?
Un réseau social mal modéré peut tout simplement faciliter des génocides. Comme l’a dénoncé Amnesty International, les défaillances des algorithmes de Facebook et de sa modération ont considérablement contribué aux atrocités perpétrées contre le peuple rohingya en Birmanie (2017) et contre la population tigréenne en Éthiopie (2020-2022). Le fait que Facebook décide d’abandonner la modération humaine, et en creux, de se plier à l’ère post-vérité et xénophobe prônée par Trump, aura des répercussions mondiales.
On appréciera encore le sens de la nuance : un réseau social mal modéré conduit aux génocides. Passons sur tous les génocides qui n’en ont pas eu besoin. Et sur tous ceux qui sont encore cautionnés par des médias mainstream, qui contribuent sans doute eux au bon fonctionnement de la démocratie, cf. Palestine en cours.
Il affirme ensuite que Facebook « abandonne la modération humaine » : ceci est encore une contre-vérité. Si Facebook abandonne le dispositif de fact-checking délégué à quelques personnes (par qui ? au nom de quoi ? selon quels critères) qui ont le pouvoir de dire le Vrai, c’est pour le remplacer par un contrôle horizontal, effectué par les membres de la communauté sous forme de notes communautaires. La modération humaine n’est pas abandonnée : mais, de verticale, elle devient horizontale.
En quelques phrases, David Zalarias se livre à plusieurs manipulations de l’opinion. Et il le fait au moment même où il demande aux gens de quitter des réseaux sociaux qui les désinformeraient…
Conclusion
Je ne suis pas un défenseur de X ni de Facebook et loin de là. À titre personnel j'ai toujours refusé d'ouvrir un compte sur un de ces deux réseaux sociaux, parce que je les considère comme des instruments qui demandent aux gens d'afficher leur vie privée et de la transformer en vie publique, ce qui permet ensuite au pouvoir de mieux nous contrôler. Vous voyez à quel point je peux être un défenseur radical des libertés individuelles ! Sur le plan politique, je considère que ce genre de communication en nombre limité de signes appauvrit considérablement le débat et achève la mutation du personnel politique en agents de communication, qui twittent plus vite qu'ils ne pensent, avec des gazouillis qui leur tiennent lieu de pensée. Vous voyez combien je suis réticent à l'encontre de l'usage politique des réseaux sociaux.
Mais peut-on affirmer que quand ces réseaux étaient sous un régime de censure et régis par des fact-checkers, ils étaient au service de la démocratie et que, une fois le fact-check terminé, ils deviennent des instruments de dictature ? J’ai beaucoup de mal à comprendre.
Pendant toute la funeste période Covid, c’est sur des réseaux sociaux que j’ai pu, bien avant la plupart des gens, trouver des informations me permettant de penser que les vaccins n’empêchaient ni d’attraper la maladie ni de la transmettre. À l’époque, Facebook sous censure et X sous censure ainsi que Youtube pourchassaient ceux qui exprimaient ces opinions. À l’époque, tous les médias mainstream martelaient des discours faux et formaient l’opinion publique à coup de contre-vérités.
On a peur que les réseaux sociaux, une fois non censurés, soient le refuge d’appels à la haine ? Rappelons que celle-ci s’est déversée librement contre les non-vaccinés sur ces mêmes réseaux censurés et contrôlés, et dans tous les médias mainstream. Comme nous avons tous tendance à avoir la mémoire courte, petit rappel :
M. Cymes, 21 septembre 2021, C à vous (France 5) qualifie les médecins émettant des doutes sur la politique vaccinale de « tarés ».
M. Cymes, novembre 21, Yahoo Actualités : « Quand on prend ce genre de responsabilité, celle de ne pas se faire vacciner, il faut se regarder dans la glace le matin en se disant : 'Oui, je peux tuer des gens dans la journée' ».
C. Barbier, BFM TV, 5 novembre 21 : « On peut demander à ceux qui ont les noms des non-vaccinés de donner ces fichiers à des brigades, à des agents, à des équipes qui vont aller frapper à leur porte. » Le journaliste développe ensuite son idée : « Si vous n’avez pas un schéma de vaccination complet, on vous retire de certaines activités sociales. »
E. Lechypre, 29 juin 21 sur BFMTV/RMC :
« Les non-vaccinés, ce sont des dangers publics, donc j’ai une démarche très claire : je fais tout pour en faire des parias de la société ! »
3 décembre 2021, invité de C dans l’air, P. Pelloux, urgentiste annonçait 6 millions de morts à venir (6 millions à venir, ça c’était de l’info !) :
« Ces 6 millions, on sait qui va mourir là de cette vague, on le sait, c'est ceux qui ne seront pas vaccinés ».
Le 31 décembre 2021, R. Enthoven, philosophe, utilisait Twitter (tiens, tiens, ce réseau social qui, non modéré, pourrait conduire à des génocides) pour tenir un discours d’insulte : « Bonne année à tous, sauf aux antivax, qui sont vraiment soit des cons, soit des monstres. » Appel au génocide, vous avez dit ? Un « philosophe » n’hésitait pas.
Et que dire du Président de la République, qui avaient très envie d’ « emmerder les non-vaccinés » ? Qui n’étaient plus des citoyens ? Il faisait cela en toute tranquillité dans le Journal du dimanche, média autorisé de Vincent Bolloré.
Que d’appels à la haine dans le silence assourdissant des amoureux de la démocratie ! Il ne faut jamais oublier ce qui s’est passé durant cette période noire de notre Histoire.
Le paysage médiatique français est celui de médias aux mains d’une poignée de milliardaires qui diffusent tous les jours leur idéologie capitaliste et antisociale, qui diffusent aussi des idées bien rances en termes d’exclusion de l’autre. Dites, Sandrine Rousseau et Marine Tondelier, il ne vous viendrait pas à l’idée de demander une loi anti-trust en France dans le domaine de la presse ? Il ne vous viendrait pas à l’idée, en tant que membres du bloc de « gauche » - j’écrirai sur cela prochainement – de demander que ces médias nous informent enfin sur les déficits de démocratie de l’UE, sur le procès contre Von der Leyen, et sur mille autre formes de désinformation au quotidien dans notre pays ?
Vous désignez Musk et Zuckerberg au moment où ils mettent un terme à un régime de censure. Seriez-vous par hasard à ce point défiantes envers des masses populaires si débiles qu’il faudrait à tout prix en contrôler l’expression ? C’est cela votre conception du peuple souverain ? Si c’est bien le fond de votre pensée, alors que reste-t-il alors de la démocratie ?
Vous dénoncez l’information diffusée sur leurs réseaux par des milliardaires – oui sur leurs réseaux, ils ont la parole et leurs algorithmes nous influencent ! Mais tellement d’autres opinions peuvent heureusement s’y réfugier aussi, celles qui n’ont pas accès aux médias traditionnels !
Vous dénoncez Musk et Zuckerberg mais vous ne levez pas le petit doigt en France pour que Bolloré, Arnaud, Niel arrêtent de nous polluer les esprits sur toutes leurs chaines, radios, journaux ?
« Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt ». Le voici qui s’empresse de quitter Facebook et X, désormais baptisés instruments de dictature. Nous voici vraiment dans l’ère de la post-vérité. Quand le média se libère de la censure, le Pouvoir le baptise ennemi de la démocratie. « La guerre, c’est la Paix », G. Orwell, 1984. Le pire, c’est que les gens baissent les bras. Le pire, c’est qu’ils disent on n’y comprend plus rien. Le pire, c’est qu’ils demandent la protection de ceux qui les oppriment. « Contrôlez l’information, s’il vous plait. Tout sauf la liberté d’expression, là est le danger ! ». La démocratie est bien malade !
Quant à moi, je n’en ai pas fini avec ce chapitre. Prochain article : pourquoi notre vieille Europe aime tant la censure qu’elle en redemande ?