Il m’a fallu pour comprendre cela faire le détour sur le sens de gauche et droite dans l’Histoire et distinguer entre les combats sociaux (contre l’exploitation économique) et les combats sociétaux. Puis faire une place au politique, j’y reviens aussi à la fin de cet article.
L’exercice auquel je vais me livrer n’est pas le plus facile, à titre personnel : il me met face au miroir. Et en plus, je le fais devant vous dans un exercice rare d’exhibitionnisme politique . Si je le fais, c’est parce que je ne pense pas parler de moi, de mon individu, mais je pense (j’espère ?) me décrire comme un cas pas trop isolé !
Social, sociétal, politique : trois dimensions pour analyser les positions du socialiste conservateur !
Sur les combats sociaux, il y a peu de chances que je me retrouve en accord avec des politiciens de droite qui restent convaincus que chacun est responsable de son sort social, de « qui veut peut » et qui ne voit pas que nos sociétés, plus inégalitaires que jamais, sont le théâtre d’une lutte des classes sans merci qui passe sous les radars par le fait d’un enfumage idéologique de tous les instants, mené à grand renforts de médias.
C’est sur les combats sociétaux qu’il peut m’arriver de me trouver en accord avec des politiciens de l’autre bord… et en désaccord avec des « gens de gôche » : les Bien-pensants, toujours a priori favorables au « mouvement », contre la « tradition ».
Cela me vaut alors d’être qualifié de « réac ». Je sais maintenant pourquoi j’assume.
On peut même me suspecter d’être « d’extrême-droite » au nom du fait que je peux partager des combats avec Philippot, Asselineau… Je rejette !
Est-ce à dire que les « extrêmes se rejoignent », comme je l’entendais dire dans ma jeunesse ? Non, car « extrême » est juste un mot-stigmate qu’utilise la pensée mainstream pour délégitimer toute critique. J’ai fait un sort dans le dernier article à ce qualificatif d’extrême et à la manière dont il sert à disqualifier toute position politique qui ne va pas dans le sens de l’ultra-libéralisme économique du centre et de ses positions sociétales qui placent l’individu au centre du projet (contre la société), ou son avatar moderne (la communauté, toujours contre la société). Je n’y reviens plus.
Mais ce détour m’a permis de me reconnaître pour ce que je suis : un socialiste conservateur. Socialiste au plan économique et social, conservateur au plan sociétal : je considère que tout ce qui remet en question l’organisation sociétale « traditionnelle » n’est pas en soi et sans discussion un progrès. C’est que je ne suis pas prêt à remplacer le souci du social (Bien commun) par la promotion de l’individu ou de la communauté comme principes souverains du politique.
Il me reste, dans cette dernière livraison, à donner des exemples de ces troublants (au moins pour moi !) rapprochements entre mes positions et celles de gens qui sont de l’autre côté de l’échiquier politique.
Petit retour sur le passé politique français et les sujets qui l’animent. Que du sociétal évidemment, rien de social. Puis du politique !
1. Lieux possibles de convergence au plan sociétal
La figure du socialiste conservateur, soit caricaturée comme étant d’extrême-droite soit invisibilisée, incarne une position singulière : elle défend les droits des travailleurs, l’État-providence, la solidarité, tout en résistant à certaines mutations sociétales contemporaines — qu’il s’agisse du multiculturalisme, des transformations autour du genre, de la filiation, ou d’une école perçue comme fragilisée par le pédagogisme.
Le socialiste conservateur assume d’être attaché à une conception héritée de la famille, à une école républicaine qui enseigne des savoirs et pas juste des savoir-être, à une langue commune qu’il faut encore transmettre plutôt que de se réjouir du fait que chacun peut la parler comme il veut pour dire « qui il est ». Il assume que les crèches catholiques puissent continuer à être dans des mairies républicaines, car elles incarnent une identité structurante par-delà le signifié religieux. Il assume d’être nationaliste en ce sens que la Nation peut offrir un cadre de résistance aux travailleurs contre la mondialisation qui ne profite qu’au capital (les lois que détricote le libéralisme ont été rédigées et adoptées dans des espaces politiques nationaux : retraite, protection sociale).
Le socialiste conservateur ne veut pas voir les sapins de Noël disparaître des mairies au nom d’une écologie mal comprise.
Le socialiste conservateur ne crie pas « Mort aux flics » parce qu’il sait que les catégories populaires ont besoin de sécurité et d’ordre pour vivre. Il sait que les sociétés ont besoin d’autorité, doivent lutter contre les incivilités et que c’est le rôle des « gardiens de la paix ». Il peut partager avec la droite une vision républicaine de la sécurité comme droit fondamental des classes populaires. Mais il refuse absolument que les forces républicaines soient instrumentalisées par le Pouvoir pour réprimer les mouvements sociaux à tour de bras et à coup de matraques. Il refuse que les « gardiens de la paix » soient utilisés comme forces anti-sociales au service d’un Pouvoir qui n’a plus de légitimité démocratique (cf. résultats des élections et composition du gouvernement), ce que font les gouvernements de manière constante depuis… des années ! Macron n’a fait qu’accentuer le mouvement depuis les Gilets jaunes.
Le socialiste conservateur pourrait dire :
« Je veux défendre les ouvriers, pas déconstruire la société. Je crois dans le collectif, pas dans le communautarisme ou dans la promotion de l’individu source de tout droit. »
Cette position, à cheval sur les clivages, l’amène à converger ponctuellement avec la droite républicaine ou conservatrice. Ainsi, il n’est pas rare de retrouver le socialiste conservateur occupant des positions jugées « conservatrices » dans des débats sur :
- la famille dite traditionnelle comme socle social ;
- la critique d’une école trop bienveillante, pas assez exigeante, qui abandonne à leur sort les enfants des classes exploitées ; la critique d’un affaiblissement de la place des savoirs fondamentaux ; le refus d’une école trop centrée sur les "émotions", la "bienveillance" ou les "compétences" au détriment de la transmission.
- l’exigence d’une intégration fondée sur l’assimilation et la méfiance à l’égard du discours multiculturaliste ;
- l’inquiétude face à la montée d’un relativisme culturel extrême ; celui qui dit que toutes les normes culturelles se valent, même celles qui heurtent les principes d’égalité ou de justice sociale ; si chaque groupe revendique ses propres normes, récits, sensibilités, il devient difficile de construire un projet collectif fondé sur l’universel ; en corollaire, le rejet de certaines formes militantes jugées agressives ou culpabilisantes car, sous couvert de respect des droits des individus ou des communautés, elles conduisent à atteindre la liberté d’expression dans le débat public.
- ou encore la réserve face à l’écriture inclusive ou aux mutations du langage liées aux questions de genre.
Ainsi, des critiques du wokisme, des réserves sur la PMA sans père (au nom de « tout le monde a le droit d’avoir des enfants ») ou des attitudes de prudence sur la transition de genre chez les mineurs (au nom de « chacun doit pouvoir se définir ») forment ainsi des lieux d’alliance circonstancielle avec une certaine droite, plus attentive à l’ordre symbolique qu’à l’innovation sociale.
Petit tableau, à compléter, des sujets possibles de convergence…
Sujet
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Convergence possible ?
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Motivations (gauche)
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Motivations (droite)
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Contre la problématique Genre à l’école
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Oui
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Préserver l’universel, éviter l’idéologie
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Préserver la norme sexuelle traditionnelle
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Réticences à l’Écriture inclusive
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Oui
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Clarté, accessibilité
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Défense de la langue classique
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Réticences à GPA / PMA
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Parfois
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Antimarchandisation, protection des femmes
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Ordre moral, filiation
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Refus des transitions de genre précoces
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Parfois
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Principe de précaution féministe, protection de l’enfance
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Rejet de la non-binarité
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Mais ce socialisme conservateur ne se limite pas aux sujets de mœurs. Il peut aussi converger avec la droite souverainiste sur des questions démocratiques ou institutionnelles. On arrive dans le domaine du politique.
2. Les convergences politiques.
Il ne faut pas confondre le politique et le social.
Le politique traite de la manière dont est conçu le rapport entre le Peuple et le Pouvoir, le lien entre ces deux instances ; le social traite de la répartition des richesses dans la société.
Les mots du politique sont : souveraineté, représentativité, démocratie, autocratie, libertés fondamentales, Peuple, Nation, Pouvoir. Les mots du social sont : égalité, partage, protection, redistribution.
Au fond, ce détour me permet de revenir aux raisons de la création de ce blog, au départ centré sur la gestion du Covid par le Pouvoir. Une des premières fois où j’ai dû m’interroger sur mes positions « politiques » m’a été donnée pendant la crise du COVID : quand le PS et les écologistes ne disaient pas un mot de l’instauration du Pass sanitaire, quand les syndicats ne dénonçaient pas cet instrument comme attentatoire du droit au travail (qui est le doit à la survie sociale), je me suis trouvé un peu surpris de dénoncer cet instrument de gouvernementalité aux côtés des figues de la droite souverainiste (Florian Philippot, Debout la France, Asselineau). Il restait heureusement quelques personnalités de gauche (comme François Ruffin ou des collectifs comme Attac) mais inaudibles. Ce qui nous rassemblait, c’était le respect des libertés fondamentales (pas des droits de l’individu privatisé) : le combat pour la liberté du citoyen contre la construction d’une technostructure sans débat politique de fond, l’Assemblée étant court-circuitée au profit des décisions prises en « Conseil de défense ». C’est que l’heure avait été décrétée grave par le Pouvoir : « Nous sommes en guerre ! ». Manipulation, Discours de la Peur.
Pour poursuivre en allant à l’essentiel, voici un tableau des points qui peuvent circonstanciellement amener des socialistes conservateurs à partager des combats avec des gens de droite, ce qui ne signifie pas qu’ils le fassent exactement sur les mêmes bases, pour les mêmes raisons. Ce sont plutôt des alliances de circonstances. De quoi faire un autre « front républicain » ? Pas sûr, car les divergences sur le plan social restent profondes !
Sujet
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Gauche
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Droite
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Motif commun
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Pass sanitaire
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Libertés publiques, égalité
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Libertés individuelles, souveraineté
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Liberté
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Réforme des retraites
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Justice sociale
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Légitimité démocratique
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Souveraineté populaire
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Cancel culture, wokisme
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Universalisme, laïcité
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Républicanisme, identité nationale
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Refus du communautarisme
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Liberté académique
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Laïcité, éducation
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Autorité républicaine
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Défense de l’école
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Surveillance numérique
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Libertés civiles
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Souveraineté individuelle
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Refus de la technocratie
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Gilets jaunes
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Colère sociale, fiscalité injuste
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Mépris des élites, souveraineté populaire
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Rejet de la verticalité du pouvoir
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Mais là encore, prudence : les convergences peuvent souvent n’être que de surface, et les valeurs et les finalités rester très différentes. Le socialiste critique certaines dérives progressistes au nom de l’universalisme, de la protection des plus vulnérables, ou d’une éthique de la précaution. La personne de droite, elle, agit au nom de la nature ou d’un ordre supérieur. Elle fétichise aussi une identité jugée indépassable, fixe. Il ne s’agit pas des mêmes fondations.
Conclusion : ne pas perdre de vue le cœur du combat
Ces croisements inattendus ne sont ni absurdes, ni honteux. Ils disent quelque chose d’un pays fragmenté, d’une gauche déboussolée par son abandon de la critique du capitalisme et d’un besoin collectif de repères. Mais ils ne doivent en aucun cas faire oublier la hiérarchie des luttes.
Pour une personne de gauche, appelons-la socialiste car c’est le social qui est le cœur de ses préoccupations, le combat contre les inégalités sociales, économiques, de conditions de vie, reste le seul point fixe. La défense du droit au logement, de l’hôpital public, des salaires dignes, de l’école républicaine, doit primer sur toutes les querelles symboliques ou identitaires.
La gauche peut s’interroger, critiquer ses dérives, refuser certains excès idéologiques. Mais elle ne doit jamais perdre de vue que l’égalité matérielle est la condition de toute liberté réelle et la condition de l’exercice démocratique. C’est en oubliant cela qu’elle perd peu à peu, dès aujourd’hui, son âme.