Se faire une idée est compliqué du fait du brouillage médiatique ambiant et il est nécessaire de se reporter à la source. Le jugement est disponible en ligne ici, https://www.blast-info.fr/articles/2025/le-jugement-sarkozy-a-lire-et-a-telecharger--BmT3bXXQC-y7JH3Ez9RuA?fbclid=IwdGRzaANDsXRjbGNrA0OxXGV4dG4DYWVtAjExAAEe1JOzt4sH4nN1IRkQfLZ-sn_AHLKfxTTPL3KFpqu_F2XJfhsTRlSs4hOkm3o_aem_T6n9f3gSaYDwb7IG30yXQw&sfnsn=scwspwa
Comme il fait 380 pages, j’en ai fait pour vous une lecture, certes en diagonale mais attentive. Il en ressort pour moi, après réflexion, quelques idées qui me semble assez claires maintenant.
1. Quand le jugement est mesuré : relaxé de quatre chefs d'inculpation
Contrairement à ce que l'on pourrait penser au vu des réactions, le tribunal a fait preuve d'une grande rigueur dans son appréciation des faits. Sur les cinq chefs d'inculpation qui pesaient sur Nicolas Sarkozy, seul un a donné lieu à condamnation.
L'ancien président a été relaxé pour :
- Corruption passive
- Recel de détournement de fonds publics libyens
- Financement illégal de campagne électorale
- Dissimulation de financement illégal
Quand on lit le jugement, on voit bien que pour chacun de ces quatre chefs, plusieurs faits pourraient les corroborer mais chaque fois, le parquet finit par juger qu’il n’a pas de preuve suffisante pour conclure avec certitude à la culpabilité. C’est notamment le cas pour le financement illégal de campagne électorale. En dépit du fait que Claude Guéant ait loué un coffre assez gigantesque dont il n’a pas réussi à donner la destination exacte, en dépit du fait que des très importantes sommes en liquide sont arrivées sur les comptes de campagne, les magistrats n’ont pas pu prouver que cet argent venait de Libye. L’argent n’a pas assez d’odeur !
Les juges de première instance ont été prudents. Ils ont élagué ce qui pouvait prêter à discussion au profit d’un noyau de qualifications solides. La cour d’appel aura peut-être une autre lecture. Mais cette minutie judiciaire démontre que les magistrats n'ont retenu que ce qui était solidement établi par les preuves. Loin de l'image d'une justice « acharnée », d’une justice « injuste », partiale, le tribunal a fait preuve de prudence et de discernement, ne condamnant que pour le délit d'association de malfaiteurs en vue de préparer une corruption.
Les médias en ont profité, reprenant en chœur le discours du condamné, pour dire que le dossier était vide et que Sarkozy était condamné par des juges partiaux, politiques. On est ici à front renversé, dans une inversion du réel.
2. Quand la seule condamnation est présentée comme une injustice
En effet, à la sortie du tribunal, Nicolas Sarkozy a tenu des propos pour le moins problématiques : « S'ils veulent absolument que je dorme en prison, je dormirai en prison, mais la tête haute. Ce qui s'est passé aujourd'hui dans cette salle du tribunal... »
Cette posture victimaire interroge. Comment peut-on présenter comme une persécution le fait d'être relaxé sur quatre accusations sur cinq ? Le message sous-jacent est dangereux : il suggère que toute condamnation judiciaire, même mesurée et motivée par des centaines de pages d'argumentation, serait illégitime dès lors qu'elle touche une figure politique de premier plan.
L'ancien président persiste également à qualifier de « faux » le document de Mediapart révélé en 2012, alors même que la Cour de cassation a écarté cette accusation en janvier 2019. Plus encore, ce document n'est pas au centre des éléments qui ont fondé la condamnation : ce sont les faits matériels établis, les rencontres documentées, les flux financiers tracés qui ont convaincu le tribunal.
3. Un délit d'association de malfaiteurs légitime, même s'il peut être critiqué
Une loi créée sous la droite et appliquée à tous
Le délit d'association de malfaiteurs est défini à l'article 450-1 du Code pénal. Créé en 1992 et renforcé sous des gouvernements de droite, il a été régulièrement appliqué, y compris dans des affaires de délinquance ordinaire ou de terrorisme.
Voici ce que rappelle le jugement :
L’association de malfaiteurs est définie à l’article 450-1 du Code pénal : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
Lorsque les infractions préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement, la
participation à une association de malfaiteurs est punie de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »
Cette infraction n’implique pas l’existence d’un groupement hiérarchisé, mais nécessite que soit établie la participation en connaissance de cause à un groupement formé ou une entente établie entre plusieurs personnes, a minima deux, dans le but de préparer un ou plusieurs délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement. Il importe peu pour que l’infraction puisse être caractérisée, que les membres du groupement aient été tous identifiés ou poursuivis, dès lors que sont clairement établis l’existence d’un groupement, de son activité et de ses buts.
Infraction obstacle, l’association de malfaiteur implique que soient caractérisés un ou des faits matériels consistant en des actes préparatoires, définis comme un rassemblement de forces et de moyens ayant pour but de préparer l’exécution du délit, même si ce délit n’a pas été consommé, ni même tenté.
Les membres du groupement peuvent ne pas avoir connu tous les détails de l’infraction préparée,
l’élément intentionnel résidant dans leur volonté de collaborer efficacement à la poursuite du but
infractionnel.
La gauche a souvent critiqué l'usage de ce délit, jugé trop large et permettant de poursuivre des personnes pour des actes préparatoires même si l'infraction finale n'a jamais été commise. Certains y voient une « infraction obstacle » problématique d'un point de vue des libertés individuelles.
Mais le droit est le droit
On peut légitimement débattre de la philosophie de cette loi. On peut estimer qu'elle devrait être réformée ou abrogée. Mais tant qu'elle figure dans le Code pénal, elle s'applique à tous, sans distinction. Dura lex, sed lex : la loi est dure, mais c'est la loi.
Ce qui serait véritablement problématique pour l'État de droit, ce serait d'appliquer cette loi aux uns et pas aux autres selon leur statut social ou politique. L'égalité devant la loi est un principe constitutionnel fondamental.
4. Les faits rappelés par le tribunal : une chronologie accablante
Le jugement, long de plus de 380 pages, établit un faisceau d'indices graves, précis et concordants sur cette association de malfaiteurs. La chronologie reconstituée par le tribunal est édifiante :
La séquence politique (2005)
- Septembre 2005 : Après l'AVC de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy estime que le président sortant ne pourra se représenter. Il ne cache pas son ambition présidentielle et entre en rivalité avec Dominique de Villepin.
- À la même période : Les autorités libyennes s'interrogent sur la succession de Chirac. Pour le régime de Kadhafi, récemment réintégré dans le concert des nations, la question de la politique française future est cruciale.
Les rencontres stratégiques
- 30 septembre-1er octobre 2005 : Ziad Takieddine accompagne Claude Guéant en Libye. Il organise une rencontre « non fortuite » avec Abdallah Senoussi, dont la situation pénale préoccupe les Libyens. Qui est ce personnage ? Je lui consacre un petit développement plus loin.
- 6 octobre 2005 : Nicolas Sarkozy se rend à Tripoli et rencontre Mouammar Kadhafi, qui évoque la situation de son beau-frère Senoussi.
- 21 décembre 2005 : Brice Hortefeux rencontre à nouveau Abdallah Senoussi de manière « non fortuite ».
Les flux financiers suspects
- 30 janvier 2006 : Le compte de Rossfield Ltd (de Thierry Gaubert, ancien collaborateur de Sarkozy) reçoit 3 millions d'euros du Trésor public libyen, somme mentionnée dans le journal de Choukri Ghanem.
- 24 novembre 2006 : Nouveau versement de 2 millions d'euros des services secrets libyens vers Rossfield.
- 28 novembre 2006 : 1,5 million d'euros sont crédités sur le compte d'Alexandre Djouhri.
- Entre juillet 2006 et janvier 2007 : Ziad Takieddine procède à trois retraits « atypiques » sur le compte Globs, lui-même crédité par Rossfield.
La confirmation écrite
29 avril 2007, entre les deux tours de l'élection présidentielle, Choukri Ghanem note dans son journal que les sommes de 1,5 million, 3 millions et 2 millions d'euros ont été versées « pour soutenir la campagne électorale de Nicolas Sarkozy » par Bashir Saleh, Saif Al-Islam Kadhafi et Abdallah Senoussi.
L'élément troublant final
En mai 2007, après l'élection, 30 à 35 000 euros de primes en espèces d'origine inexpliquée sont versées à des salariés de campagne.
Pour ceux qui veulent lire le détail de cette chronologie telle que les magistrats la rappellent, c’est ici :
Avant d’envisager les infractions dont il est saisi, le tribunal observe la chronologie des événements évoqués ci-dessus :
. Avril 2005 : Ziad TAKIEDDINE commence à se rendre en Libye, il sera ensuite présent à chaque déplacement de Nicolas SARKOZY, Claude GUEANT ou Brice HORTEFEUX, et pas à ceux des autres ministres du gouvernement
. 5 septembre 2005, après son AVC, Jacques CHIRAC n’apparaît plus aux yeux de Nicolas SARKOZY en mesure de se représenter, alors qu’il ne cache pas son ambition présidentielle et se trouve en rivalité avec Dominique DE VILLEPIN, qui partage cette même ambition. A cette même période, les autorités Libyennes s’interrogent sur la possible succession de Jacques CHIRAC, étant rappelé que le maintien de la Libye dans le concert des nations qu’elle vient tout juste de rejoindre est un sujet fondamental pour Mouammar KADHAFI
. 30 septembre / 1er octobre 2005 : Ziad TAKIEDDINE est présent lors de la visite de Claude GUEANT avec qui il est en contact et échange, notamment à propos de la visite de Nicolas SARKOZY qui est en cours de préparation ; il lui fait rencontrer Abdallah SENOUSSI de manière non fortuite, alors que sa situation pénale est un sujet de préoccupation majeure pour les Libyens
. 6 octobre 2005 : déplacement de Nicolas SARKOZY à Tripoli qui rencontre Mouammar KADHAFI lequel évoque la situation de Abdallah SENOUSSI
. 21 décembre 2005 : déplacement de Brice HORTEFEUX qui rencontre de nouveau de manière non fortuite Abdallah SENOUSSI
. 30 janvier 2006 : le compte de ROSSFIELD LTD à la IBL reçoit 3 millions d’Euros du Trésor Public Libyen, somme mentionnée dans le journal de Choukri GHANEM
. 2 février 2006 : 440 000 euros partent de ROSSFIELD vers le compte Oline du Trust Cactus
. A partir du 17 février et jusqu’au 21 novembre 2006, Thierry GAUBERT adresse 95 000 Euros à Jean Philippe COUZI, et le 23 février fait un virement à Polymex, non expliqué
. 1er mai 2006 : date à partir de laquelle les dépenses électorales peuvent être comptabilisées
. Printemps 2006 : Dominique DE VILLEPIN n’a pas encore renoncé à ses ambitions
. Vers juin 2006 : déjeuner au Bristol destiné à opérer un rapprochement avec les chiraquiens et éviter une double candidature
. A partir du 26 juillet 2006 et jusqu’au 10 janvier 2007, Ziad TAKIEDDINE procède à 3 retraits atypiques sur le compte GLOBS, lui-même crédité par le compte de ROSSFIELD
. 24 novembre 2006 : le compte de ROSSFIELD LTD à la IBL reçoit 2 millions d’Euros des services secrets libyens, somme mentionnée dans le journal de Choukri GHANEM
. 28 novembre 2006 : 1,5 millions d’Euros sont crédités sur le compte UBS de Alexandre DJOUHRI via le compte de Ahmed Salem BUGSHAN au Crédit Agricole Suisse, virement lié à l’achat de la villa de Mougins par le LAP alors dirigé par Bashir SALEH
. Novembre 2006 : Nicolas SARKOZY annonce officiellement sa candidature
. 14 janvier 2007 : il est investi candidat
. 22 avril 2007 : 1er tour des élections
. 29 avril 2007 : Choukri GHANEM mentionne les sommes de 1,5 millions, 3 millions, et 2 millions d’Euros dans son journal comme ayant été versées pour soutenir la campagne électorale de Nicolas SARKOZY par Bashir SALEH, Saif Al Islam KADHAFI et Abdallah SENOUSSI
. 6 mai 2007 : second tour des élections
. Mai 2007 : 30 à 35 000 Euros de primes en espèces d’origine inexpliquée sont versées à des salariés de la campagne
5. Abdallah Senoussi : qui est cet homme et pourquoi le rencontrer pose problème ?
C'est sans doute l'élément le plus troublant de cette affaire. Abdallah Senoussi n'est pas un interlocuteur ordinaire. Chef des services de renseignement militaire du régime Kadhafi, il est considéré comme le « numéro deux » du régime libyen et le beau-frère du colonel.
Un criminel de masse recherché internationalement
Senoussi a été condamné à perpétuité par contumace en France en 1999 pour son rôle dans l'attentat du vol UTA 772 le 19 septembre 1989, qui a coûté la vie à 170 personnes, dont 54 Français. Il est également soupçonné d'avoir organisé l'attentat de Lockerbie contre un vol PanAm en 1988 (270 morts).
À cela s'ajoutent d'autres accusations : responsabilité présumée dans le massacre de prisonniers à la prison d'Abou Salim en 1996, et un complot visant à assassiner le prince héritier d'Arabie saoudite en 2003.
La Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt contre lui pour crimes contre l'humanité commis lors de la répression de 2011.
Des rencontres qui ne peuvent être anodines
Dans ce contexte, les rencontres organisées entre Brice Hortefeux, Claude Guéant et Abdallah Senoussi ne peuvent être fortuites. Un ministre français ne rencontre pas « par hasard » un terroriste condamné en France et recherché internationalement.
Le tribunal note que ces rencontres avaient pour but d'évoquer « comme contrepartie a minima une attention à sa situation juridique une fois Nicolas Sarkozy élu ». En clair : discuter d'un possible arrangement concernant ses poursuites pénales en échange d'un soutien financier à la campagne présidentielle.
Ainsi, alors que des Françaises et des Français attendaient que le terroriste responsable de la mort de leurs proches soit arrêté et que justice soit faite, l’entourage de Nicolas Sarkozy est allé rencontrer cet homme pour lui faire offre de collaboration. Où sont les soi-disant patriotes pour s’émouvoir de cette ignominie, de ce déshonneur, de cette indignité ? Sauver le soldat Sarkozy passe-t-il aussi avant cela ?
6. Les condamnations respectives : une justice à plusieurs vitesses ?
Il est surprenant de qualifier ce jugement de politique. À la lecture de la décision, ce qui compte et ce qui prime, c’est la matérialité des faits, difficilement contestables, et qui conduit logiquement à une condamnation. Affirmer qu’il s’agirait d’une décision « politique » revient non seulement à contester les faits contenus dans la décision, mais aussi à les nier. Le 25 septembre 2025, le tribunal a prononcé les peines suivantes :
Nicolas Sarkozy
Déjà condamné à trois peines, dont il s’est tiré par un bracelet électronique encore adouci (enlevé) par le fait qu’il a eu 70 ans.
- 5 ans de prison ferme pour association de malfaiteurs
- Mandat de dépôt différé avec exécution provisoire
- Convoqué le 13 octobre 2025 pour connaître sa date d'incarcération
- Possibilité d'aménagement de peine (bracelet électronique)
Cette peine de mandat de dépôt, qui signifie qu’il devrait prochainement dormir en prison, n’est pas exceptionnelle contrairement à ce que dit Sarkozy et que reprennent la plupart des médias sans faire leur boulot :
« Toutes les limites de l’État de droit ont été violées. C’est tellement invraisemblable. Même dans ses réquisitions pourtant violentes, le PNF ne l’avait pas demandé ! Pour cette raison d’ailleurs, mes avocats n’ont pas pu plaider contre cette sanction extraordinaire. L’exécution provisoire est une mesure exceptionnelle, qui ne peut être prononcée que par une décision “spéciale et motivée” lorsque les faits particuliers du dossier l’exigent », s’est indigné Nicolas Sarkozy dans Le JDD.
Or l’exécution provisoire pour les citoyens ordinaires est appliquée dans 89 % des cas lorsque la condamnation dépasse deux ans. Elle est donc la normalité. Un récent rapport du Sénat le rappelle, paru ce 1er octobre :
https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/la-defense-de-nicolas-sarkozy-apres-sa-condamnation-mise-a-mal-par-un-rapport-du-senat-sur-l-execution-des-peines_255481.html
Difficile d’affirmer, dans ces conditions, que Nicolas Sarkozy a fait l’objet d’une justice d’exception, malgré ce que lui et ses soutiens martèlent depuis plusieurs jours.
Claude Guéant
- Condamnation pour association de malfaiteurs, mais prise en compte dans l’exécution de la peine de son âge et état de santé.
- Peine à déterminer (information à préciser)
Brice Hortefeux
- 2 ans de prison ferme avec exécution provisoire
- 50 000 euros d'amende
- Interdiction d'exercer une fonction publique
Les autres prévenus
Huit autres accusés sur onze ont également été reconnus coupables, démontrant que le tribunal a identifié un réseau structuré et non un cas isolé.
7. Pourquoi l'attitude de Sarkozy menace l'État de droit
Le précédent dangereux
Tout citoyen peut critiquer une décision de justice. En revanche, il existe une limite d’ordre juridique. Comme toute liberté, celle-ci peut dériver en abus et cet abus est pénalement répréhensible quand on va au-delà de la critique et qu’on commet un outrage à l’encontre des magistrats. On peut d’ailleurs légitimement se demander si la réaction de Nicolas Sarkozy, par sa virulence, ne pourrait pas constituer un outrage à magistrat.
En contestant systématiquement la légitimité de sa condamnation, Nicolas Sarkozy ne se contente pas d'exercer son droit de défense légitime par la voie de l'appel. Il remet en cause l'institution judiciaire elle-même.
Ses déclarations suggèrent que :
- Les juges auraient agi par acharnement et non sur la base des preuves
- Le jugement serait le fruit d'un « complot »
- Une personnalité politique ne devrait pas être soumise aux mêmes règles que les autres citoyens
L'égalité devant la loi en danger
Aucun citoyen ne devrait être au-dessus des lois, pas même un ancien président de la République. C'est un principe fondamental de la démocratie. Si l'on accepte l'idée qu'une personnalité politique puisse échapper à la justice au motif de son ancien statut, c'est tout l'édifice de l'État de droit qui s'effondre.
La confusion entre innocence et impunité
Nicolas Sarkozy affirme son innocence et c'est son droit. Il a fait appel, ce qui est parfaitement légitime. Mais entre dire « je conteste cette décision et je la combattrai par les voies légales » et « cette justice est illégitime », il y a un gouffre. On observe par ailleurs une convergence troublante entre l’attitude de Nicolas Sarkozy et celle de Marine Le Pen : tous deux dénoncent les juges qui les condamnent, tout en passant sous silence les motifs mêmes de leur condamnation. Bien qu’accusés et condamnés, ils veulent se faire passer pour des victimes persécutées.
La première attitude respecte l'État de droit. La seconde le mine de l'intérieur.
Le message envoyé à l'opinion publique
Lorsqu'un ancien président de la République dénonce systématiquement les décisions de justice qui le concernent, il alimente la défiance envers les institutions. Il encourage une partie de l'opinion à penser que la justice serait « politique », « partisane », « au service du pouvoir en place ».
C'est un discours extrêmement dangereux dans un contexte où la confiance dans les institutions démocratiques est déjà fragile.
Pour les responsables politiques, et plus encore pour un ministre – même démissionnaire –, s’ajoute toutefois une sorte de devoir de retenue. La séparation des pouvoirs impose en effet à l’exécutif de respecter la Justice comme institution : la retenue et la convenance doivent guider la prise de parole publique d’un ministre quand il évoque une sentence judiciaire. Dans ce contexte, l’intervention de M. Retailleau relève moins de sa fonction de ministre (démissionnaire) que de celle de président d’un groupe politique. Il a apporté jeudi son « soutien » à l’ancien président Nicolas Sarkozy, espérant qu’il puisse « faire prévaloir son innocence » en appel.
« Je lui redis tout mon soutien et toute mon amitié dans l’épreuve qu’il traverse », a affirmé le Vendéen dans un communiqué du parti fondé par Nicolas Sarkozy. « Je ne doute pas qu’il saura mettre toute son énergie à se défendre devant la cour d’appel et faire prévaloir son innocence », a-t-il ajouté.
Pascal Praud, sur CNEWS, s’indigne. La veille de la condamnation, il dinait avec Sarkozy
Conclusion
Le jugement du 25 septembre 2025 restera dans l'histoire comme le premier à condamner un ancien président de la République française à une peine de prison ferme. Mais au-delà du caractère inédit, ce qui devrait marquer les esprits, c'est la rigueur de la procédure : des années d'enquête, des centaines de pages de motivation, une relaxe sur quatre chefs d'inculpation sur cinq.
La vraie question n'est donc pas de savoir si Nicolas Sarkozy est innocent ou coupable – l'appel le dira. La vraie question est : acceptons-nous que la loi s'applique à tous, y compris aux plus puissants ?
Qu’il puisse, comme n’importe quel justiciable, aller en prison lui semble simplement impossible. Que des politiques et des journalistes le suivent est plus grave. À l’image d’Emmanuel Macron déplorant le retrait de la Légion d’honneur de l’ex-président condamné définitivement à de la prison ferme dans l’affaire Bismuth, l’élite française, celle du monde d’hier, s’enferre dans une conception d’un autre âge du pouvoir, de son apparat et de ses privilèges.
Si nous n’acceptons pas que la loi puisse s’appliquer à tous, alors nous devons assumer que nous ne vivons plus dans un État de droit, mais dans un système où le statut social détermine le niveau de protection juridique. Si c’est notre souhait, alors nous devons défendre l'indépendance de la justice, même – et surtout – quand ses décisions nous déplaisent.
Dura lex, sed lex. La loi est dure, mais c'est la loi. Pour tous.