Quand le pyromane joue les pompiers : Netanyahou, le Hamas et la stratégie du chaos… maîtrisé

Le 21/09/2025 0

Article du 21 septembre 2025

 

Dans son discours devant le Congrès américain le 24 juillet 2024, Benjamin Netanyahou déclarait avec emphase : « Nous devons éradiquer le Hamas ! » L'indignation morale, le poing levé, la détermination affichée... Un spectacle parfaitement rodé qui dissimule une réalité beaucoup plus gênante : pendant des décennies, Netanyahou a lui-même nourri, financé et encouragé cette organisation qu'il prétend aujourd'hui vouloir anéantir. Retour sur l'une des manipulations géopolitiques les plus cyniques de notre époque.

Ce que j’écris ici est bien connu de tous ceux qui s’intéressent depuis longtemps à cette région du monde. Mais qui les rappelle dans les médias français ?

 

1. Les faits : quand Israel choisissait Hamas contre l'OLP

Les preuves de cette stratégie délibérée ne manquent pas. Elles sont documentées, publiques, assumées par leurs auteurs jusqu'à octobre 2023. L'histoire commence dans les années 1980, quand Israël facilite l'implantation des Frères musulmans à Gaza pour concurrencer l'influence de l'OLP de Yasser Arafat. Né à Gaza, le Hamas, acronyme de « Harakat al-muqawama al-islamiya » (« Mouvement de la résistance islamique »), n’adhère pas à l’OLP. L’Organisation de libération de la Palestine est créée le 28 mai 1964 à l’initiative de la Ligue arabe et regroupe plusieurs mouvements de résistance palestiniens, dont le Fatah de Yasser Arafat. En 1993, ce dernier signe avec le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin les accords d’Oslo, qui prévoient l’établissement d’un État palestinien après une période intérimaire de cinq ans ; mais cet État ne verra pas le jour. Dans la foulée de ces accords, Yasser Arafat installe l’OLP dans la bande de Gaza. Le Hamas va lutter contre l'OLP et Israël fut son soutien. Quelques faits ?

Dans le sillage de l'attaque mortelle du Hamas du 7 octobre, certains Israéliens se souviennent des tentatives précédentes du Premier ministre Benjamin Netanyahou de "maintenir le Hamas en vie" comme contrepoids aux groupes palestiniens plus modérés.

Mais c'est sous Netanyahou que cette politique trouve sa forme la plus aboutie. « Quiconque veut contrecarrer l'établissement d'un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d'argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie - isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Cisjordanie. » (https://www.jns.org/the-myth-that-israel-netanyahu-created-funded-hamas/) Cette déclaration, prononcée devant les membres de la Knesset de son parti Likoud en mars 2019, révèle la logique implacable : diviser pour mieux régner.

Plus explicite encore, « Maintenant que nous supervisons, nous savons que cela va à des causes humanitaires », déclarait-il selon ses proches (https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/netanyahu-money-to-hamas-part-of-strategy-to-keep-palestinians-divided-583082). Ces propos, rapportés par le Jerusalem Post en 2019, témoignent de la parfaite conscience des dirigeants israéliens des mécanismes qu'ils mettent en œuvre.

Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell n'a pas hésité à lever le voile sur cette réalité en janvier 2024 : « Oui, le Hamas a été financé par le gouvernement israélien dans une tentative d'affaiblir l'Autorité palestinienne dirigée par le Fatah » (https://english.wafa.ps/Pages/Details/97683).

2. La mécanique diabolique : faire triompher les extrêmes

Cette stratégie repose sur une logique implacable que Netanyahou maîtrise parfaitement : les extrêmes se nourrissent mutuellement et permettent d'éviter toute solution négociée. En affaiblissant les forces laïques palestiniennes (OLP, Fatah) au profit des islamistes du Hamas, Israël s'assure qu'aucun partenaire crédible ne peut émerger du côté palestinien pour de véritables négociations de paix.

Car qui dirige Israël aujourd'hui ? Précisément une coalition entre deux extrémismes qui convergent parfaitement avec les intérêts du Hamas :

Le fondamentalisme religieux, représenté par des partis comme le Foyer juif ou les ultra-orthodoxes, pour qui la terre d'Israël biblique (incluant la Cisjordanie) constitue un don divin inaliénable. Leur vision théocratique rejette par principe toute partition territoriale.

Le mouvement colonialiste, incarné par les colons de Cisjordanie et leurs soutiens politiques, qui œuvre méthodiquement à la judaïsation de tous les territoires occupés. Pour eux, l'expansion territoriale prime sur toute considération diplomatique.

Ces deux courants trouvent dans Hamas l'ennemi parfait : suffisamment radical pour justifier le rejet de toute négociation, assez violent pour légitimer la réponse sécuritaire, mais paradoxalement assez faible pour ne pas constituer une menace existentielle réelle pour Israël. Une opposition de façade qui permet de maintenir le statu quo tout en continuant l'expansion coloniale.

Le Hamas, de son côté, a tout intérêt à cette configuration : face aux bombardements israéliens, il renforce sa légitimité en tant que "résistance" et peut marginaliser les voix palestiniennes qui prônent la négociation. Les extrêmes se nourrissent ainsi mutuellement, dans une spirale parfaitement maîtrisée par Netanyahou.

3. Les transferts d'argent : quand Doha finance Gaza avec l'aval de Tel-Aviv

Les preuves concrètes de cette connivence objective ne manquent pas. Depuis 2012, Israël autorise et encourage les transferts financiers du Qatar vers Gaza, sachant parfaitement qu'une partie de ces fonds aboutit dans les caisses du Hamas. « Netanyahou a aussi stratégiquement facilité des millions de financements au Hamas en permettant au Qatar de donner des subventions en espèces à Gaza — de l'argent dont il savait qu'il coulerait, indétectable, vers la direction du Hamas. » (https://www.972mag.com/netanyahu-hamas-october-7-adam-raz/)

Ces transferts, qui se comptent en centaines de millions de dollars, constituent un élément central de la stratégie netanyahouiste. En permettant au Qatar de financer Hamas, Israël s'assure que l'organisation reste suffisamment forte pour empêcher l'émergence d'une autorité palestinienne unifiée, mais suffisamment dépendante pour ne pas représenter une menace majeure.

L'ironie est saisissante : « Le Premier ministre Benjamin Netanyahou d'Israël n'a pas seulement toléré ces paiements, il les avait encouragés » (https://www.timesofisrael.com/for-years-netanyahu-propped-up-hamas-now-its-blown-up-in-our-faces/). Pendant des années, ces transferts ont été justifiés officiellement par des motifs "humanitaires", masquant mal la réalité stratégique sous-jacente.

Il est assez cynique de voir que Doha, qui a été le relais financier d'Israël, a été bombardé par les Israéliens pour faire capoter des négociations de paix avec le Hamas !

4. Le double discours : créer le monstre pour mieux le combattre

L'hypocrisie atteint son comble quand on analyse les déclarations actuelles de Netanyahou. L'homme qui pendant des décennies a méthodiquement renforcé Hamas contre les forces laïques palestiniennes se présente aujourd'hui en champion de la lutte anti-terroriste. « Netanyahou a officiellement nié les affirmations selon lesquelles il avait facilité le financement du Hamas afin de créer une situation de "diviser pour régner". Il a également dit qu'il transférait des fonds pour éviter un "effondrement humanitaire" à Gaza. » (https://www.timesofisrael.com/time-fact-checks-netanyahu-interview-countering-his-denial-of-bankrolling-hamas/)

Cette transformation soudaine de stratège machiavélique en défenseur moral révèle la dimension profondément cynique de l'opération. Netanyahou a créé les conditions du 7 octobre par sa politique délibérée de renforcement du Hamas, mais utilise maintenant cette tragédie pour légitimer une guerre totale qui sert parfaitement ses intérêts politiques et idéologiques.

Le magazine 972 le résume parfaitement : « Du sabotage d'Oslo au transfert d'argent qatarien vers Gaza, Bibi a passé sa carrière à soutenir le Hamas pour aider à perpétuer le conflit. » (https://www.972mag.com/netanyahu-hamas-october-7-adam-raz/) Une stratégie de perpétuation du conflit qui trouve dans la guerre actuelle son aboutissement logique.

5. La complicité occidentale : quand les "alliés" reprennent les arguments de celui qu'ils censurent

Le paradoxe devient vertigineux quand on examine les positions occidentales actuelles. Les gouvernements européens et américains, tout en exprimant parfois leurs réserves sur les méthodes de Netanyahou, reprennent exactement sa ligne argumentaire concernant les conditions d'une solution palestinienne. Leur exigence centrale ? Que le Hamas soit "écarté du jeu politique" pour qu'un État palestinien puisse voir le jour.

Cette condition, présentée comme une évidence morale, constitue en réalité la reprise pure et simple de la stratégie netanyahouiste. En effet, tant que Hamas reste la force dominante à Gaza - situation que Netanyahou a délibérément créée et maintenue - aucune reconnaissance d'un État palestinien n'est possible selon les critères occidentaux. Le tour de passe-passe est parfait : on crée les conditions qui rendent impossible la solution qu'on prétend souhaiter. La dernière traduction en France de cette stratégie ? Une tribune signée par 20 personnalités (BHL, Gainsbourg, Arthur…) demandant à Macron de ne pas reconnaître la Palestine tant que le Hamas est dans le jeu :  « Monsieur le président, vous ne pouvez pas reconnaître un État palestinien sans conditions préalables» : l’appel de 20 personnalités à Emmanuel Macron. https://www.lefigaro.fr/vox/monde/monsieur-le-president-vous-ne-pouvez-pas-reconnaitre-un-etat-palestinien-sans-conditions-prealables-l-appel-de-20-personnalites-20250919

L'Occident se retrouve ainsi complice d'une stratégie qu'il prétend dénoncer. En reprenant l'argumentaire selon lequel Hamas constitue un obstacle insurmontable à la paix, les dirigeants occidentaux valident la logique même qui a conduit à renforcer cette organisation contre les forces laïques palestiniennes.

6. La "colonisation par le vide" : l'objectif réel

Car derrière toute cette mécanique se dessine l'objectif réel : la "colonisation par le vide" que j’ai exposé dans le dernier article. Tant que Gaza reste sous contrôle du Hamas - organisation que l'Occident considère comme terroriste - et tant que la Cisjordanie demeure fragmentée par l'expansion coloniale, aucun État palestinien viable ne peut émerger. Cette situation permet la poursuite méthodique de la colonisation sans avoir jamais à assumer politiquement le refus de la solution à deux États.

Netanyahou l'a parfaitement compris : plutôt que de rejeter frontalement la création d'un État palestinien - position qui isolerait Israël diplomatiquement - il suffit de rendre cette création impossible en pratique. Hamas joue dans cette stratégie un rôle central : épouvantail parfait pour justifier l'absence de négociation et exutoire idéal pour évacuer les frustrations palestiniennes loin des véritables enjeux territoriaux.

Les colonies de Cisjordanie peuvent ainsi continuer leur expansion, les expropriations se poursuivre, la fragmentation territoriale s'accentuer, pendant que l'attention internationale se focalise sur le "problème Hamas" à Gaza. Une Gaza qui, selon cette logique, doit rester sous contrôle islamiste pour justifier l'impossibilité de toute solution négociée.

7. Les Forces laïques palestiniennes : victimes de la stratégie

Les premières victimes de cette mécanique sont les forces palestiniennes qui, précisément, auraient pu constituer des partenaires crédibles pour une négociation. L'OLP de Yasser Arafat puis de Mahmoud Abbas, malgré tous ses défauts, avait accepté le principe des deux États et reconnu l'existence d'Israël. Le Fatah, organisation laïque, représentait une alternative réelle au fondamentalisme islamiste.

C'est précisément contre ces forces que Netanyahou a dirigé sa stratégie de soutien au Hamas. L'objectif était clair : empêcher l'émergence d'un leadership palestinien capable de négocier et susceptible d'obtenir le soutien international pour la création d'un État palestinien. En divisant les Palestiniens entre islamistes et laïques, en affaiblissant systématiquement l'Autorité palestinienne, Netanyahou s'assurait qu'aucune solution diplomatique ne puisse aboutir.

Les Palestiniens chrétiens, pourtant présents historiquement en Palestine et victimes des mêmes dépossessions que leurs compatriotes musulmans, disparaissent complètement de cette équation. Leur existence même contredit la grille de lecture "choc des civilisations" que Netanyahou utilise pour justifier sa politique.

Conclusion : l'imposture révélée

L'analyse de la stratégie netanyahouiste révèle l'une des manipulations géopolitiques les plus cyniques de notre époque. Créer délibérément les conditions du chaos pour ensuite se présenter en garant de l'ordre, renforcer méthodiquement son ennemi pour mieux justifier de ne jamais négocier avec lui, transformer une situation coloniale en affrontement civilisationnel pour évacuer les questions de droit international : cette mécanique relève de l'imposture politique à grande échelle.

Quand Netanyahou déclare vouloir "éradiquer le Hamas", il sait parfaitement qu'une telle éradication rendrait caduque toute sa stratégie des trente dernières années. Car sans le Hamas, quels arguments resterait-il pour refuser de négocier avec l'Autorité palestinienne ? Comment justifier la poursuite de la colonisation si le "péril islamiste" disparaissait ?

La réalité, c'est que Netanyahou a besoin du Hamas autant que le Hamas a besoin de Netanyahou. Les deux extrêmes se légitiment mutuellement dans une danse macabre qui permet d'éviter toute solution politique. Les Occidentaux qui reprennent aujourd'hui les arguments netanyahouistes sur la nécessité d'écarter Hamas se font les complices involontaires de cette stratégie.

Il est temps de regarder cette réalité en face : tant que les dirigeants occidentaux n'assumeront pas le caractère colonial de ce conflit et continueront à le présenter sous l'angle du "terrorisme" ou du "choc des civilisations", ils resteront prisonniers de la logique même qui a créé la situation actuelle. Car derrière les grandes déclarations morales se cache une réalité beaucoup plus prosaïque : la colonisation méthodique de la Palestine sous couvert de lutte antiterroriste.

Le pyromane qui joue les pompiers finira bien un jour par être démasqué. La question est de savoir combien de victimes innocentes, des deux côtés, ce mensonge institutionnalisé fera encore.

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