La crise Covid : la science malmenée (1)

Le 27/11/2022 1

Article du 27 novembre 2022

 

Tout au long de la crise Covid, le Pouvoir a prétendu s’appuyer sur la science pour justifier ses mesures. Ceci suppose que :

  • la science est faite de certitudes définitives alors qu’elle n’est au mieux que des hypothèses vérifiables à l’instant T, mais rapidement dépassées ;
  • le savoir scientifique peut organiser la société indépendamment de considérations politiques, sociales, économiques, morales.

Dernier avatar, E. Macron et F. Braun qui disent attendre l’avis des « scientifiques » relatif à la question de la réintégration des non-vaccinés. Mais que peuvent dire ces scientifiques qui irait à l’encontre à partir du moment où, « scientifiquement » :

  • l’on sait que la vaccination n’empêche ni contagion ni transmission.
  • les soignants dits vaccinés ont eu au mieux une troisième dose en janvier 22, dont il ne reste rien. Combien ont fait une 4e dose, non obligatoire ?
  • les soignants dits vaccinés peuvent aller travailler alors qu’ils sont positifs.
  • les gestes barrières de tous les soignants empêchent la contagion (d’où le point précédent).

Les arguments qui peuvent être opposés sont moraux (les non-vaccinés n’ont pas voulu se soumettre aux règles communes, or on a besoin de soignants qui obéissent) ou organisationnels (cela ne résoudrait pas le sous-effectif hospitalier... certes mais ce n'est pas le problème en fait), mais sur quel argumentaire pourraient-ils être "scientifiques" ?

Ensuite, on dit attendre l’avis de la haute Autorité de Santé comme s’il s’agissait d’une instance indépendante. Comment est-elle composée ?

Le collège de la HAS est composé de sept membres.

Le président du collège est nommé par le président de la République. Les autres membres sont nommés par décret du président de la République, sur proposition :

 

On devine le degré d’indépendance scientifique de l’avis qui sera rendu, une fois cette instance saisie.

Passons… Je vais écrire quelques articles sur la manière dont la science est mise à contribution à des fins politiques. Je m’appuierai sur les travaux de quelques collègues que je résumerai pour les rendre accessibles, car ils font très bien le travail et je ne serai que leur écho.

L’article du jour est différent, c’est le fruit de ma propre lecture, le résultat d’un petit coup d’émotion à la lecture d’abord d’une annonce de conférence à l’Université de Strasbourg, et ensuite celui de mon incrédulité à la lecture de l’article qui sous-tend cette conférence.

Voici l’annonce, vous faites quoi le 7 décembre ?

De ni

 

Et voici l’article d’Olivier Putois et Julie Helms

Le rôle du déni chez les sceptiques des vaccins et le blâme des "anti-vax" : Une approche psychodynamique
Olivier Putois 1,2,3* et Julie Helms 4,5

1 SuLiSoM UR 3071, Faculté de Psychologie, Université de Strasbourg, Strasbourg, France
2 Service de Psychiatrie, Santé Mentale et Addictologie, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France

3 Institut d'Immunologie et d'Hématologie, Institut Thématique Interdisciplinaire TRANSPLANTEX NG, Université de Strasbourg, Strasbourg, France

4 Université de Strasbourg (UNISTRA), Faculté de Médecine Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Service de Médecine Intensive-Réanimation, Nouvel Hôpital Civil, Strasbourg, France

5 INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), UMR 1260, Nanomédecine Régénérative (RNM), FMTS, Strasbourg, France

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2022.886368/full?utm_source=S-TWT&utm_medium=SNET&utm_campaign=ECO_FPSYG_XXXXXXXX_auto-dlvrit


Vous avez les références. L’article en entier se trouve en fin de blog, je l’ai traduit de l’anglais pour vous le rendre accessible si vous voulez vérifier que je n’invente pas…

Je vais juste commenter pas à pas leur résumé… et si cela vous allèche, vous lirez le texte !

Dans cet article, nous proposons de rendre compte du blâme adressé aux sceptiques des vaccins et aux " anti-vax " (VS et AV) en considérant leur attitude comme le résultat du mécanisme psychologique du déni, compris de manière psychodynamique.

Voici donc le thème : comprendre pourquoi les soignants en veulent aux non-vaccinés qu’ils sont obligés de se coltiner dans les services en cas de maladie. C’est intéressant, en effet.

Ce qui retient d’abord mon attention c’est la double appellation « sceptiques des vaccins » et « anti-vax », qui ne sera jamais interrogée dans tout l’article et les deux termes toujours associés. Il y a là déjà un amalgame : on peut ne pas avoir envie de se faire vacciner avec les vaccins ARN messager Covid et ne pas être « anti-vax » ni « sceptique des vaccins » mais juste de ceux-ci en particulier. La non-définition du public concerné est déjà rédhibitoire dans un article scientifique.

Ensuite, on voit que l’auteur, psychologue clinicien, va chercher l’explication du côté d’un mécanisme psychanalytique, le déni, qui va être la seule cause retenue. Etre réticent au vaccin ARN, c’est être « anti-vax » (premier amalgame) et être anti-vax c’est relever d’un problème psychanalytique, le déni (réductionnisme : ne peut-il y avoir réellement d’autres explications ?). Mais avançons un peu.

À cet effet, nous nous appuyons sur un récit secondaire de notre expérience clinique dans deux unités hospitalières (psychiatrie et unité de soins intensifs), ainsi que sur du matériel médiatique ouvertement disponible.

Voici l’échantillon : notre psy travaille à partir de témoignages sur le vaccin recueillis en hôpital psychiatrique (!) et en unité de soins intensifs (psychiatrique également ? Ce n’est même pas précisé). On ne saura jamais sur combien de cas il s’appuie, qui sont ces gens, comment et dans quelles conditions leurs discours ont été recueillis. Des discours que l’on ne voit jamais dans l’article. On ne sait donc rien du corpus recueilli. Il parle de "matériel médiatique" mais on le voit nulle part : aucun discours cité. Pareil article ne devrait pas passer la barre d'une évaluation par les pairs. Pas conforme aux exigences. Pas... scientifique.

Mais ce que je sais, c’est qu’on ne peut pas aller enquêter en psychiatrie pour généraliser les conclusions à la population générale. On est d’accord, non ? C’est pourtant ce qui va être fait. Sans aucune précaution.

Dans un premier temps, nous exposons comment les attitudes des VS et des AV peuvent être comprises comme le résultat d'un déni fétichiste du risque, une transaction psychologique spécifique avec un objet par lequel les personnes VS et AV se sentent intimement protégées ; cet objet est perçu comme si puissant que sa protection fait paraître le vaccin sans importance.

Les auteurs nous parlent de gens (combien ?) qui se pensent en fait intouchables pour la maladie, protégés par une sorte de fétiche. Un parent décédé qui veille sur eux, une puissance suprême, un talisman… Et ils sont donc dans le déni de la maladie, et comme ils ne croient pas pouvoir être atteints, ils ne se vaccinent pas.

Voilà. C’est tout. Les arguments multiples qui peuvent nourrir une réticence (consentement libre et éclairé, principe de précaution, insuffisance de service rendu, nombre d’effets indésirables, appartenance à une population qui n’est pas à risque) ne sont jamais évoqués. Jamais… On réduit tout à du fétichisme et à du déni.

Deuxièmement, nous montrons comment ce mécanisme peut expliquer le contenu spécifique du blâme fréquemment adressé aux VS et AV, à qui les personnes vaccinées et les soignants reprochent d'être égoïstes.

Ah ben oui c’est sûr, si les soignants ont toujours en face d’eux des gens qui se pensent Superman et qui sont malades, il y a de quoi s’énerver, on peut comprendre… C’est tout ce que dit l’article, je ne caricature pas. Et ne m’attarde pas : inutile.

Nous soutenons que, contrairement aux idées reçues, ils sont ainsi blâmés parce qu'ils obligent les autres (et surtout les soignants) à compenser leur manque d'autoprotection et de préservation, qui découle de leur relation exclusive à un objet tout-puissant.

Voilà une hypothèse qui mérite d’être soutenue, Ô que oui, vu qu’elle ne repose sur rien. On voit réapparaître l’idée de l’  « objet tout-puissant » protecteur, talisman ! Passons.

Si une telle relation explique la réticence à envisager la vaccination, elle explique aussi la dureté des reproches formulés par les soignants, qui se sentent impuissants dans la plupart des situations car ils ne peuvent pas effectivement forcer les VS et AV à prendre soin d'eux-mêmes et des autres.

Et on est déjà à la conclusion. Etonnant, non ?

Cet article me pose plusieurs problèmes :

- comment a-t-il pu être publié alors qu’il est truffé d’énormités et méthodologiquement invalide ?

- ce travail a été soutenu par l'Institut Thématique Interdisciplinaire (ITI) de Médecine de Précision de Strasbourg, TRANSPLANT EX NG, dans le cadre du programme ITI 2021-2028 de l'Université de Strasbourg, le CNRS et l'INSERM, financé par l'idEx Unistra (ANR-10-IDEX-0002) et la SFRI-STRAT'US (ANR-20-SFRI-0012). Tant de financements et de bonnes fées se sont penchés sur ce berceau ? Diantre...

- cet article émane de nos institutions publiques françaises de recherche, et c’est encore plus inquiétant. On chercherait à psychiatriser les opposants au discours officiel qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Je vois bien BFM TV  titrer « Les anti-vax relèvent de la psychiatrie, une publication scientifique nous le dit ». Ne souriez pas, c’est ainsi que cela a été fait et sur des bases aussi absurdes pour le confinement et pour le passe sanitaire (livraison à venir). Les conséquences font un peu trembler, plus que sourire.

- l’Université de Strasbourg va accueillir ce conférencier et donner du crédit à sa thèse. L’article est de janvier 2022 : depuis, on SAIT que ce vaccin ne protège de rien. Vraiment, cela ne fait pas d’autres explications du scepticisme encore, par rapport à janvier où beaucoup d'entre nous avaient déjà… de forts doutes ?

Je m’inquiète un peu pour la santé mentale de ce collègue qui lui-même est tellement dans le … déni qu’il ne prend pas la peine de voir si d’autres discours pourraient exister que ceux du talisman-qui-rend-inutile-tout-vaccin !

 Je commence à m’inquiéter aussi pour la santé de notre Université (commencer n’est en fait pas le verbe exact, cela dure depuis pas mal de temps, depuis qu’on la met à mal).

Je commence à m’inquiéter également pour toutes les personnes qui ne pensent pas de manière orthodoxe : dans quel régime déclare-t-on fous les opposants ?

 

Ci-dessous, si vous avez du temps à perdre... ou envie de rire un bon coup, l’intégralité du Discours de la Science : l’original est en anglais (j'ai traduit), car c’est en anglais qu’on publie la Vrai Science.

Le rôle du déni chez les sceptiques des vaccins et le blâme des "anti-vax" :

Une approche psychodynamique
Olivier Putois 1,2,3* et Julie Helms 4,5

https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2022.886368/full?utm_source=S-TWT&utm_medium=SNET&utm_campaign=ECO_FPSYG_XXXXXXXX_auto-dlvrit

1SuLiSoM UR 3071, Faculté de Psychologie, Université de Strasbourg, Strasbourg, France
2Service de Psychiatrie, Santé Mentale et Addictologie, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, France

3Institut d'Immunologie et d'Hématologie, Institut Thématique Interdisciplinaire TRANSPLANTEX NG, Université de Strasbourg, Strasbourg, France

4Université de Strasbourg (UNISTRA), Faculté de Médecine Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Service de Médecine Intensive-Réanimation, Nouvel Hôpital Civil, Strasbourg, France
5INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), UMR 1260, Nanomédecine Régénérative (RNM), FMTS, Strasbourg, France


Dans cet article, nous proposons de rendre compte du blâme adressé aux sceptiques des vaccins et aux " anti-vax " (VS et AV) en considérant leur attitude comme le résultat du mécanisme psychologique du déni, compris de manière psychodynamique. À cet effet, nous nous appuyons sur un récit secondaire de notre expérience clinique dans deux unités hospitalières (psychiatrie et unité de soins intensifs), ainsi que sur du matériel médiatique ouvertement disponible. Dans un premier temps, nous exposons comment la VS et la AV peuvent être comprises comme le résultat d'un déni fétichiste du risque, une transaction psychologique spécifique avec un objet par lequel les personnes VS et AV se sentent intimement protégées ; cet objet est perçu comme si puissant que sa protection fait paraître le vaccin sans importance. Deuxièmement, nous montrons comment ce mécanisme peut expliquer le contenu spécifique du blâme fréquemment adressé aux VS et AV, à qui les personnes vaccinées et les soignants reprochent d'être égoïstes. Nous soutenons que, contrairement aux idées reçues, ils sont ainsi blâmés parce qu'ils obligent les autres (et surtout les soignants) à compenser leur manque d'autoprotection et de préservation, qui découle de leur relation exclusive à un objet tout-puissant. Si une telle relation explique la réticence à envisager la vaccination, elle explique aussi la dureté des reproches formulés par les soignants, qui se sentent impuissants dans la plupart des situations car ils ne peuvent pas effectivement forcer les VS et AV à prendre soin d'eux-mêmes et des autres.

Introduction

L'un des groupes les plus fréquemment blâmés lors des pandémies de COVID est l'ensemble hétérogène désigné sous le nom de sceptiques et d'"anti-vax" (ci-après VS et AV). Parmi les personnes vaccinées et les soignants, beaucoup estiment que ce reproche est justifié : leur attitude augmente le risque de contagion, tout en surchargeant le système de santé. Or, comme l'ont souligné Bouguettaya et al. (2022), la culpabilisation dans un contexte de pandémie affecte les relations, favorise la dévalorisation des soignants et incite à la discrimination : il est donc nécessaire de rendre compte de l'émergence de la culpabilisation, afin de concevoir des réponses alternatives au refus du vaccin. Ceci est crucial en France où les taux d'acceptation des vaccins ont été très faibles (Sallam, 2021).

Le blâme pourrait donc être compris et contourné de manière fructueuse en comprenant le refus du vaccin. Schmitz et al. (2022) ont récemment exploré la motivation de la vaccination. De même, des recherches ont montré qu'un statut socio-économique inférieur, l'éducation, la distance avec le gouvernement (Paul et al., 2021) et l'affiliation politique (Fridman et al., 2021) prédisent le refus de vaccination. Certains des déterminants les plus importants de l'incertitude et de la réticence à la vaccination semblent être une forte méfiance à l'égard des avantages des vaccins et des préoccupations concernant les effets secondaires imprévus (Paul et al., 2021).

Alors que Goldberg (2021) a souligné l'importance d'une approche psychiatrique des attitudes anti-vax, une perspective spécifiquement psychodynamique n'a pas encore été explorée. L'objectif d'une telle approche serait de donner corps à un processus non informationnel et non cognitif qui sous-tend le refus des vaccins (Hornsey et al., 2018). Nous proposons donc d'aborder le scepticisme et le refus vaccinal à travers le mécanisme psychologique qui, selon nous, le sous-tend : le déni. Nous pensons qu'il peut éclairer le reproche souvent adressé aux VS et AV, et surtout son contenu (celui d'" être égoïste "). Pour cela, nous nous appuyons sur la pratique clinique dans les services de psychiatrie et de soins intensifs d'un CHU français lors des pandémies de COVID-19, ainsi que sur des messages et déclarations médiatiques. Nos données n'ont pas nécessité d'autorisation éthique, puisqu'il s'agit d'un compte rendu secondaire de nos expériences en matière de soins de santé.
Le déni en tant que déterminant psychologique des sceptiques et des anti-vax.

Une caractéristique empirique dans l'attitude et le comportement des personnes VS et AV rencontrées dans nos unités hospitalières est particulièrement récurrente. En général, lorsqu'elles discutent de leur statut vaccinal, elles expliquent qu'elles (ou leurs enfants) n'ont pas besoin du vaccin parce que quelque chose d'autre les protège déjà si efficacement que cela rend le vaccin inutile. Ceci est cohérent avec la corrélation entre la volonté de vaccination COVID-19 et l'efficacité perçue du vaccin (Wake, 2021).


Certains se sentaient protégés par leur foi religieuse ou leur spiritualité, c'est-à-dire par une relation étroite avec une figure toute-puissante. Dans l'unité de soins intensifs (USI), la famille pieuse d'un jeune homme décédé s'étonnait qu'il soit mort en dépit de sa forte foi - comme si la foi était une protection contre la contagion. Une patiente de l'unité de psychiatrie a déclaré qu'en tant que guérisseuse, son contact avec les énergies de la vie la protégeait du virus, rendant ainsi la vaccination inutile.

La plupart de ces personnes ne présentaient aucun autre signe de comportement ou de croyance délirante, ce qui ne veut pas dire que leur croyance en une protection plus forte soit en soi délirante, ou le signe d'un délire. De même, elles savaient parfaitement où trouver des informations médicales sur la maladie ; la plupart d'entre elles savaient que beaucoup en étaient morts. Ainsi, l'accès aux informations médicales pertinentes et la connaissance de celles-ci n'expliquent pas leur attitude vis-à-vis du vaccin, ce qui est conforme aux recherches montrant que l'attitude vis-à-vis du vaccin n'est pas influencée par la disponibilité des informations médicales (Fridman et al., 2021). Ils n'avaient aucun problème à reconnaître la gravité de la maladie, mais se sentaient protégés du virus par leur lien avec une force plus puissante ; ils se comportaient comme s'ils portaient un talisman chargé de charme.

Une approche psychodynamique du déni (Freud, 1940 ; Fain, 1971 ; Braunschweig et Fain, 1975) permet d'éclairer ces attitudes : nous soutenons qu'elles témoignent d'une position fétichiste (Fain, 1971), qui vise à permettre à l'individu de nier qu'il est en danger. Le mot "fétiche" vient de la langue portugaise, et a été initialement utilisé par les colons en référence aux pratiques observées dans les tribus africaines, où un objet spécifique était utilisé comme protection contre les mauvais sorts et les rencontres dangereuses. L'objet est doté de pouvoirs magiques provenant d'une source particulière (esprit, etc.), avec laquelle le fétiche relie l'individu, qui devient protégé en retour par la source. Dans une approche psychodynamique, le fétichisme renvoie à un mécanisme psychologique spécifique auquel fait appel l'individu confronté ou envisageant des événements traumatiques (mal, mort, etc.) qui déclenchent l'anxiété. Face à une perspective traumatique, certains individus s'engagent dans le fétichisme. Le fétichisme est une transaction psychologique spécifique, assimilable à un pacte (Braunschweig et Fain, 1975 parle d'une " communauté de déni "). Ses termes sont les suivants : si l'individu reconnaît inconditionnellement et exclusivement le pouvoir d'un objet spécifique (cause, groupe, divinité, etc.) qui se présente comme une protection absolue contre le mal, alors l'objet partagera avec lui en retour une partie de son pouvoir protecteur, à travers un fétiche qui représente ce pouvoir. Ce pacte va permettre à l'individu de refuser que le risque initialement perçu soit une source d'anxiété. Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, qui témoigne d'une position fétichiste par rapport à la foi, la reconnaissance de la puissance de Dieu est récompensée par sa protection - une fraction de sa puissance est accordée à l'individu. S'engager dans le déni fétichiste crée une scission dans l'esprit (Freud, 1940 ; Fain, 1975) : le risque est à la fois initialement perçu et ensuite écarté en raison de la puissance reconnue de l'objet. Ainsi, contrairement à la " COVID-phobie " (Dilbaz et al., 2020 ; Nazlı et al., 2022), ou à la " peur du COVID " (Ahorsu et al., 2020), le déni n'entraînera pas de fortes réactions émotionnelles car son but est précisément de faire taire la perception initiale d'anxiété qui les a provoquées.

Il convient donc de garder à l'esprit que :

1. La fonction psychologique du fétiche est de protéger l'individu contre l'anxiété déclenchée par la perception d'un dommage ou d'un risque potentiel (contagion, mort, etc.), en permettant le déni de cette perception. [Le déni est un mécanisme de défense - sur la pertinence des mécanismes de défense (cf., Malan, 1982 ; Plutchik, 1995)] ;

2. La reconnaissance du pouvoir de l'objet doit être exclusive et sans restriction. L'ignorance de cette condition lève la protection de l'objet.

Il est important de noter que l'objet qui semble puissant ou tout-puissant est désigné en termes aussi abstraits dans la théorie psychodynamique parce que, comme nous l'avons déjà mentionné, il n'a pas besoin de ressembler à une personne, comme ce pourrait être le cas, par exemple, d'un objet de culte. La vérité, en tant qu'objet de connaissance ou de conviction, peut être l'objet auquel l'individu croit être intimement lié. Convaincu de ce lien, il pense pouvoir reconnaître comme preuve de sa croyance des signes négligés par les personnes qui n'ont pas sa conviction. Ces signes fonctionnent comme des fétiches, lui assurant que sa croyance ("je suis protégé") est vraie, et que sa connaissance l'aide à voir à travers un discours douteux. La relation fétichiste à l'objet alimente ainsi le déni en légitimant l'ignorance des faits qui vont à l'encontre de la croyance de l'individu (comme "le virus existe, et il a tué X milliers de personnes"). L'individu engagé dans le fétichisme considère que les personnes qui tiennent ces faits pour vrais n'ont tout simplement pas son accès privilégié à la vérité, ce qui rend ces faits douteux par contraste. Dans les cas où l'objet est la vérité, la toute-puissance prend la forme de l'infaillibilité. Le fétichisme fournit ainsi un mécanisme psychologique potentiel sous-jacent à de nombreuses versions du discours explicitement "anti-vax" de la théorie du complot, qui affiche fréquemment une conviction de certitude absolue ; il explique également le lien souvent mis en évidence (Poupart et Bouscail, 2021), et même la prédiction, des attitudes VS ou AV en présence d'une adhésion préalable aux théories du complot (Al-Jayyousi et al., 2021 ; Nazlı et al., 2022).

Cette approche psychodynamique du déni permet d'éclairer l'affirmation, exprimée par de nombreux VS et AV (même sur leur lit de mort !), selon laquelle le vaccin n'est pas assez sûr. A première vue, cela semble paradoxal : statistiquement parlant, refuser la vaccination est beaucoup plus risqué, malgré les très rares effets secondaires potentiels du vaccin (sur lesquels les VS et AV sont souvent bien informés). Mais cette approche par le rapport bénéfice-risque passe à côté du but de l'attitude fétichiste, qui est de permettre le déni de tout risque de contagion et de ses conséquences. Envisager la vaccination implique que l'on reconnaisse le risque de contagion, et que l'on renonce à la croyance en une protection toute puissante au lieu de nier le risque et le besoin ultérieur de protection. Par conséquent, du point de vue du fétichiste, envisager la vaccination déclenche une anxiété spécifiquement associée à l'absence d'une protection toute puissante : c'est cette anxiété que le fétichiste cherche à nier en s'appuyant sur son fétiche.

Comprendre l'attitude des VS et AV comme un choix fétichiste permettant de nier les risques liés au COVID-19 pourrait expliquer la teneur de nombreux reproches adressés aux VS et AV : on leur reproche souvent d'être égoïstes.

Le déni de risque des sceptiques et des fétichistes anti-vaccins explique le blâme social de l'égoïsme

Une approche psychodynamique permet de comprendre le reproche d'égoïsme comme un effet du déni de risque fétichiste des VS et AV sur les personnes vaccinées, et en particulier sur les soignants.

Un bref examen d'échantillons de matériel empirique, comme la couverture médiatique (y compris les blogs, les colonnes d'opinion, etc.), montre que les VS et AV sont assez souvent accusés d'être égoïstes. L'écrivain et blogueur français Sagalovitsch a choisi de nommer un article du blog Slate de 2021 "On se souviendra longtemps de l'égoïsme des non-vaccinés" (Sagalovitsch, 2021). L'animateur de télévision britannique Piers Morgan a opté pour un commentaire calomnieux sur Twitter : les anti-vaxxers sont des "connards égoïstes" (Evans, 2021). Même le toujours diplomate champion de tennis espagnol R. Nadal a déclaré que les AV semblent "un peu égoïstes" (Kershaw, 2021). Ce reproche suit toujours le même constat initial : ils ne pensent qu'à eux-mêmes (Deray, 2021 ; Evans, 2021 ; Sagalovitsch, 2021), en ce sens qu'ils ne semblent pas se rendre compte que leur comportement met les autres en danger.

Leur comportement est jugé égoïste pour une autre raison. Passé le stade de la contagion, les patients COVID-19 ont empêché de nombreux vaccinés ayant besoin de soins médicaux d'y accéder, soit dans des services hospitaliers spécifiques réaffectés aux patients COVID (par exemple, les unités de neurologie devenant des unités COVID temporaires), soit dans les unités de soins intensifs, où les patients COVID avaient une priorité quasi systématique sur les autres patients. En conséquence, beaucoup de personnes vaccinées dont les soins médicaux ont été entravés par les pandémies ont considéré que les VS et les AV devaient en assumer les conséquences, par exemple par des pénalités financières directes (Green, 2022). C'est ce manque de responsabilité perçu pour leur non-vaccination qui a déclenché le reproche d'égoïsme parmi les personnes vaccinées : en substance, VS et AV ont été perçus comme se comportant de manière non réciproque et injuste.

Cette perception de l'égoïsme est relayée par les médecins, qui considèrent fréquemment les VS et AV comme égoïstes et irresponsables. Deray les qualifie de symptôme d'une maladie de l'égoïsme (Deray, 2021). Le diabétologue français Grimaldi a déclaré que les VS et AV devraient être cohérents avec leur refus des vaccins, et indiquer dans leurs directives anticipées s'ils souhaitent être médicalement réanimés en cas de formes graves de COVID-19 (Grimaldi, 2022). Tous deux ont souligné que les VS et AV représentent une menace pour la justice sociale et l'équité, en obligeant à hiérarchiser les patients à prendre en charge en priorité, notamment dans les unités de soins intensifs. Malgré les informations officielles affichées au début des pandémies, les patients atteints du COVID-19 dont l'état s'aggravait et qui nécessitaient des soins intensifs avaient de facto la priorité sur les patients nécessitant une admission en USI pour d'autres raisons. Leur séjour en USI était également plus long (au moins quelques semaines). La sélection des patients est devenue une préoccupation pressante (Lecouvé et Zagdoun, 2022), et les relations entre les unités hospitalières se sont tendues : les USI ont dû refuser de nombreuses admissions en raison d'une surcharge de COVID-19. Dans ce contexte, les soignants des unités de soins intensifs ont souvent dit que, malgré le serment d'Hippocrate, il leur était très difficile de ne pas percevoir les VS et AV comme des égoïstes : non seulement ils demandent les mêmes soins médicaux que les personnes qui se font vacciner (alors qu'eux ne le font pas), mais ils ont également la priorité dans les unités de soins intensifs sur les personnes vaccinées qui ont besoin de soins pour d'autres raisons, lorsque leur état s'aggrave à cause d'une infection au COVID.

En outre, à une époque où le système de prise en charge médicale était proche du point de rupture, le fait de lui imposer une charge supplémentaire a été perçu de manière particulièrement négative tant par les soignants que par les personnes vaccinées en général, ces dernières exprimant publiquement une profonde identification et gratitude envers les premiers.

Si le " cadrage médiatique " de la faute est une réalité (Court et al., 2021 ; Bouguettaya et al., 2022), c'est l'incohérence de la VS et de la VA que les personnes vaccinées et les médecins mettent en avant pour expliquer la faute de l'égoïsme. Ils perçoivent la VS et la VA comme reposant fortement sur la responsabilité des personnes vaccinées de se protéger et de protéger les autres, tout en niant la pertinence du vaccin. C'est comme s'ils disaient aux personnes vaccinées "si les autres le font, pourquoi devrais-je le faire" ?

Un point de vue psychodynamique sur le déni peut rendre compte de cette incohérence perçue, qui est à l'origine du reproche d'égoïsme. Contrairement à ce que croient les personnes vaccinées, une personne engagée dans le déni fétichiste n'évite pas la vaccination parce qu'elle sait intimement ou espère que, finalement, elle sera prise en charge par d'autres. Cela signifierait que le fétichiste ne croit pas vraiment à la toute-puissance de son objet, c'est-à-dire à sa protection absolue. C'est tout le contraire : le fétichiste se sent si profondément lié à son objet qu'il croit sincèrement qu'il le protège entièrement. D'où leur surprise lorsqu'ils sont contaminés, et leurs réactions face aux soins prodigués par les équipes de réanimation : ils disent souvent que c'est, par exemple, leur croyance qui les a sauvés, et non les médecins ; ou qu'ils ne voient aucune raison de se faire vacciner, même après leur séjour en réanimation.

Si cette attitude est plus cohérente que ne le croient les personnes vaccinées et les soignants, elle montre également que VS et AV ne sont pas égoïstes, au sens habituel du terme - c'est-à-dire qu'ils pensent d'abord à leurs propres intérêts (sécurité, etc.) de manière égoïste, ou anticipent une aide extérieure ultérieure. Au contraire, le principal effet du déni fétichiste utilisé pour éviter l'anxiété est un effet pervers, dont ils sont la première victime : leur reconnaissance préalable de la toute-puissance de l'objet les met effectivement en danger de contagion, tout en les empêchant de s'en rendre compte (ce faisant, ils remettraient en cause son incontestable toute-puissance). En d'autres termes, une implication directe du déni fétichiste est l'absence de toute action assurant une autoprotection efficace par des moyens extérieurs à l'objet tout-puissant (cf. partie 1) ; ceci est montré dans la déclaration ci-dessus, après la réanimation, selon laquelle il n'y a toujours aucune raison de se faire vacciner. Si la conviction du fétichiste est que l'objet exige une démonstration de croyance en échange d'une protection, alors il s'engagera dans des pratiques rituelles efficaces ; mais il ne fera rien qui renvoie à une autre source de protection. Si cette attitude a pour conséquence d'exposer des tiers à la contagion et d'ajouter des contraintes au système de santé, il est essentiel de comprendre que la personne engagée dans le déni fétichiste est la première victime potentielle de son manque effectif d'auto-préservation.

 Cette compréhension exclut de reprocher aux VS et AV d'être égoïstes au sens habituel du terme, mais elle rend compte du reproche d'égoïsme formulé par les personnes vaccinées. L'absence fétichiste d'autoconservation hors du périmètre des exigences du pacte avec l'objet oblige les vaccinés et les soignants à décider s'ils doivent ou non compenser cette absence par une protection efficace des VS et AV, face à leur comportement de prise de risque - ou participer à leur déni du risque réel. Nous pensons que le reproche d'égoïsme est un effet psychologique du manque d'auto-préservation et de la réticence à se protéger de la VS et de la AV sur les personnes vaccinées et les soignants, qui sont engagés dans la protection d'eux-mêmes et des autres. Les VS et AV sont ressentis comme égoïstes car leur attitude de prise de risque oblige les autres à décider s'ils doivent les soigner, tout en affichant une incrédulité ouverte à l'égard de la protection médicale (qui diffère de celle de leur objet spécifique).

Le ton dur du reproche d'égoïsme pourrait venir de l'impuissance des personnes vaccinées et des soignants. Alors que ces comportements de prise de risque les obligent à décider s'ils doivent compenser l'absence d'autoconservation, ils sont placés dans une position de double-bind (Bateson et al., 1956) ou d'injonction paradoxale (Racamier, 1973 ; Anzieu, 1975) : il n'est ni en leur pouvoir ni dans leur droit d'imposer la vaccination (du moins en France). Et comme les soignants dans ces situations ne peuvent évidemment pas non plus, pour des raisons éthiques, imposer la vaccination en menaçant de conditionner l'accès aux soins, ils se retrouvent sans aucun moyen de pression externe pour orienter les VS et les AV vers un comportement plus sûr [Dans cette optique, la demande de Grimaldi (2022) de directives anticipées explicites peut être comprise comme une réaction à cette impuissance].

Conclusion

Le blâme n'est pas la solution pour répondre à la rhétorique et aux préoccupations des VS et AV. L'OMS a souligné la nécessité de déconstruire la stratégie des négateurs vocaux des vaccins lorsqu'on leur fait face, notamment en disant la vérité et en ne niant pas les limites des connaissances et des soins médicaux (Organisation mondiale de la santé, Bureau régional pour l'Europe, 2017).

Nous pensons que les considérations ci-dessus pourraient contribuer aux interactions entre les soignants et les patients VS et AV, ainsi qu'aux interactions sociales lors d'une pandémie. En spécifiant le type d'anxiété contre lequel les VS et AV veulent se protéger au niveau individuel, cette recherche peut aider à concevoir des réponses non stigmatisantes et sans reproche au niveau institutionnel. Elle pourrait ainsi contribuer aux approches psychodynamiques des politiques de santé et de leur mise en œuvre qui s'intéressent à la manière de répondre à l'anxiété sociale sur les questions de santé publique (Walsh et al., 2016).

À cet effet, notre hypothèse psychodynamique concernant l'origine du blâme dans le déni fétichiste individuel (qui, selon nous, est partiellement confirmée par le blâme de l'égoïsme) devrait être testée dans le cadre d'une recherche empirique qualitative plus systématique. La question principale de cette recherche serait : quels sont les facteurs individuels qui déclenchent le déni dans le contexte de la vaccination chez certaines personnes, mais pas chez d'autres - à la fois dans l'histoire de vie de chacun et dans l'environnement actuel ? Cette recherche pourrait fournir différents types de trajectoires de vie de VS et AV, combinant des facteurs individuels, sociaux et politiques (Ward et al., 2020) dans des profils typiques de déni.

Contributions des auteurs

OP a conçu la structure du manuscrit, imaginé l'argument, fourni le matériel clinique et rédigé le manuscrit. JH a contribué à la structure du manuscrit et à l'argumentation et a fourni le matériel clinique. Les deux auteurs ont contribué à l'article et ont approuvé la version soumise.

Financement

Ce travail a été soutenu par l'Institut Thématique Interdisciplinaire (ITI) de Médecine de Précision de Strasbourg, TRANSPLANT EX NG, dans le cadre du programme ITI 2021-2028 de l'Université de Strasbourg, le CNRS et l'INSERM, financé par l'idEx Unistra (ANR-10-IDEX-0002) et la SFRI-STRAT'US (ANR-20-SFRI-0012).

 

Commentaires

  • Sprilibre

    1 Sprilibre Le 28/11/2022

    Ces deux auteurs auraient tout intérêt à lire ou au moins survoler attentivement sans œillères les travaux de Dawn Lester et de David Parker aux 'Editions Nouvelle Terre

    "Qu'est-ce qui nous rend réellement malades ? Pourquoi tout ce que nous croyons savoir sur la maladie est faux (2 tomes) yt'u

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