Stratégie du choc et propagande (épilogue) : il faut sauver le soldat Biden !

Le 02/10/2022 0

Article du 2 octobre 2022

 

Hier, je mettais en ligne cette vidéo dans laquelle Biden, en présence du Chancelier allemand Scholz, annonçait qu’il mettrait fin à Nord Stream si la Russie envahissait l’Ukraine.

Je la remets ici car il y a du nouveau ! On ne s’ennuie pas avec les journalistes français !

BidenBiden 22 février 2022

Je traduis la fin

« Si les Russes franchissent les frontières, il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin. »

Une journaliste, interloquée par une telle déclaration, peine à formuler sa question :

« Est-ce que vous… ? Comment vous… comment vous feriez… cela ? Exactement ?... Vu que le gazoduc est sous le contrôle de l’Allemagne ? »

Réponse énigmatique de Biden, avec interruption d’une première phrase, puis réponse évasive avec sourire énigmatique :

« Nous +futur… Je promets que nous pourrons le faire. »

Il n’y a pas eu de question de relance. Biden visiblement n’entendait pas en dire plus. On entrait sur un domaine secret, et il n’était pas question de mesures de type législative, technique ou commerciale, sans quoi il aurait pu parler d’arsenal… juridique, de mesures techniques, politiques.

C‘était en février 2022. Depuis Nord Stream 2 a été attaqué et les vidéos ressortent sur les déclarations belliqueuses des USA (voir livraison précédente). Pour nos journalistes, il importe de préserver le narratif des USA comme pays ami : si Biden avait maladroitement levé le voile sur les intentions terroristes de son pays, cela voudrait tout simplement dire que les USA ont attaqué l’Allemagne et l’Europe. Rien de moins. Peut-être avec l’assentiment de gouvernants vendus, mais en tout cas pas avec celui des peuples qui vont en payer les conséquences. C’est France Info, chaine publique qui s’y est collée la première, hier, dans une exercice de fact checking de haute voltige 

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/vrai-ou-fake-guerre-en-ukraine-joe-biden-a-t-il-vraiment-declare-que-les-etats-unis-detruiraient-nord-stream-2_5389642.html

M. Quang Pham, qui signe l’article, est spécialisé en tout, c’est un spécialiste du fact check (https://www.francetvinfo.fr/redaction/quang-pham/). Il convoque dans cet article des spécialistes de géopolitique de l'énergie pour nous expliquer que non, Biden ne pensait pas du tout à une destruction physique ! Pour le média, il faut « resituer le contexte » :

Franceinfo a interrogé plusieurs spécialistes en géopolitique de l'énergie pour resituer le contexte de la déclaration de Joe Biden.

De manière assez objective, l’article commence par rappeler l’opposition ancienne des USA à ce gazoduc Nord Stream 2 :

"La politique américaine par rapport à Nord Stream 2 a toujours été une politique d'opposition", résume Nicolas Mazzucchi, directeur de recherche au Centre d'études stratégiques de la marine (CESM). L'installation de ce pipeline, dont les travaux ont débuté en 2018, mais qui n'a jamais été mis en service, déplaît à l'administration américaine, car elle amplifie "la dépendance [des Européens] au gaz russe", explique le chercheur. Avec un débit de près de 55 milliards de mètres cubes de gaz par an, Nord Stream 2, s'il avait été activé, se serait ajouté à un réseau de gazoducs russes en mesure de répondre "aux trois quarts des besoins européens en gaz", estime le géopolitologue.

Puis l’article rappelle que « depuis 2017, l'opposition américaine à Nord Stream 2 s'est avant tout matérialisée par des sanctions, comme le gel d'avoirs et la révocation de visas contre "les entreprises impliquées dans la construction du gazoduc". On se demande bien déjà sur quelle base légale les Américains ont-ils ainsi mis des bâtons dans les roues d’un projet entre deux puissances indépendantes, sans qu’il y ait de guerre alors. Il s’agissait juste d’empêcher des relations commerciales ! Bien… C’est que, comme le dit l’article

« Réduire l'accès des Européens au gaz russe permettrait aussi aux Etats-Unis d'espérer "un bénéfice économique" par l'augmentation de "leurs propres exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers le continent", précise Sophie Marineau, doctorante en histoire des relations internationales à l'Université catholique de Louvain (Belgique), dans un article pour le site The Conversation.

Tout cela est vel et bon, mais le contexte effectivement, on le connait. Cela ne change rien à ce qu'a dit Biden, à sa menace énigmatique. Commence alors le coeur du propos pour l'article, ce qu'il fallait démontrer. "Non non non", termine l’article, "il n’a jamais été question de faire autre chose que des obstacles de ce type" :

Quand, en février 2022, le président Biden déclare vouloir mettre fin à Nord Stream 2, la menace n'est pas obligatoirement "physique", acquiesce Nicolas Mazzucchi.

L’article invoque alors une autre déclaration de Biden qui permettrait de lever définitivement les soupçons sur une action physique de destruction. L’article rapporte que

le 23 février, Jen Psaki, porte-parole de la Maison Blanche, annonce ainsi sans ambiguïté que Nord Stream 2 est "mort au fond de la mer".

Le même jour, Joe Biden réitère sa volonté de "stopper Nord Stream 2, si la Russie envahissait l'Ukraine". Le président américain précise cette fois son plan d'actions : "un effort coordonné avec l'Allemagne" qui consiste à arrêter la "certification du pipeline" et à sanctionner "la société Nord Stream 2 AG (qui gère le gazoduc) et ses dirigeants".

Ouf, la menace Biden du 22 février n’était pas physique mais juridique : on va stopper la certification du gazoduc !

Deux déclarations donc, mais, et ce détail est intéressant, faites sur deux jours successifs. Lors de la première le 22, Biden choisit de ne rien dévoiler, reste mystérieux et la réaction de la journaliste, interloquée, montre de quelle manière elle a sans doute reçu le message.

Le lendemain, le 23, on revient sur le sujet et alors le discours s’est étonnamment complété. Comment opère  France Info en termes d'analyse de discours ? C'est assez subtil pour qu'on n'y prenne pas garde en première lecture. Ils annoncent qu'il vont nous expliquer le vrai sens d'un discours tenu le 22 février, mais au final c'est un autre discours qu'ils expliquent, celui du 23. Certes, les deux sont tenus par la même personne, mais pas du tout dans la même situation discursive, et celui du 23 est un discours second par rapport au premier, un discours d'explicitation qui a été préparé avec des conseillers. Je fais une hypothèse, rien de plus : on peut imaginer que la CIA a convoqué sa cellule de crise devant la bourde du Président et lui a fourni un narratif plausible. On a essayé de mettre de la cendre sur les braises, en espérant que le jour où Nord Stream et Nord Stream 2 sauteront, les gens auraient oublié. Rien ne me permet d'être sûr de mon hypothèse : mais regardez à nouveau la déclaration de Biden... En votre for intérieur, pensez-vous qu'il faisait alors allusion à des moyens avouables ?

Comme Internet à de la mémoire. alors France Info joue son rôle pour sauver le soldat Biden, et pour nous dire qu’il ne faut pas voir ce qu’on a vu, pas comprendre ce qu’on a compris, et que « La Vérité est ailleurs » comme on disait dans X-Files. Ce que vous croyez avoir vu le 22, c'est faux, regardez ce qu'il a dit le 23 ! Cela ne tient pas, désolé ! Avec le service public, on commence à être habitué : j’avais dans une autre livraison montré comment la rédaction de France 2, diffusant des images d’enfants ukrainiens faisant des saluts nazis, avait produit un communiqué disant que ce n’était pas des saluts nazis : ils disaient « avoir les rushs » attestant que ce n’était pas des saluts nazis. Que ne les ont-ils montrés !

Le service public n’est pas seul à contribuer à un narratif de type pensée unique, le Bien contre le Mal, celui qui empêche typiquement de penser la complexité du monde. Voici un magnifique exemple dont je suis reconnaissant à LCI TF1.

Elisabeth Martichoux reçoit le porte-parole de l’Ambassade de Russie à Paris, et elle espère le coincer sur les fosses communes d’Izioum et les salles de torture.

Elle plante le décor : « On se demande comment vous faites pour justifier jour après jour ce qui nous parait nous injustifiable. On va regarder quelques images d’Izioum… »

Justement, je vous laisse regarder la suite.

(Note du 26 octobre : Les images ont été retirées de Youtube. Je laisse l'écran noir, signe de cette petite censure sur des images gênantes pour LCI: Je poste un nouveau lien : https://www.youtube.com/watch?v=aCwxa7RfVQk )

Les images qu’elle soumet au porte-parole sont censées être accablantes. Martichoux reprend le narratif ukrainien et parle de salle de torture : mais ce qu’on voit, c’est juste un vieux monsieur qui montre des salles vides, dans un bâtiment détruit ; les images n’ont aucun statut de preuve, de quoi que ce soit.

Le comble est atteint quand elle utilise le mot « fosses communes » : peu après on aperçoit un cercueil ouvert, blanc à l’intérieur. Puis on voit des dizaines de croix, qui correspondent à autant de sépultures individuelles, on voit les noms sur les croix, on voit des couronnes, des fleurs. Est-ce là la définition d’une fosse commune ? A-t-on voulu cacher des morts alors qu’on a mis leurs noms sur les croix ? Quand le porte-parole le lui fait remarquer, elle ne trouve qu’à balbutier  : « Beaucoup avec des numéros »… Certes, les Russes n’ont peut-être pas pris le temps d’enquêter sur chaque mort au combat. Ils n’avaient pas tous les noms sans doute. La mort à la guerre, c’est moche. Les Russes ont fait des morts, c'est vrai. Mais cela ne suffit pas. Les Russes doivent être des monstres, parce que c’est le narratif, et tant pis si les images ne le montrent pas, on va coller des mots dessus et les mots vont suffire à créer l’opinion : « salles de torture », « fosses communes » ! Cette dernière expression fait écho aux Fosses ardéatines en 44 à Rome, aux 4000 fosses communes du franquisme, à celles des camps de la mort. Elle résonne dans notre imaginaire. Mais en l'occurence ce ne sont que Fake news, désinformation, propagande. On comprend que le porte-parole russe s’étouffe un peu quand on lui demande de commenter ce qui est pour lui une « propagande à deux balles » !

Avant le reportage, Martichoux ose demander au porte-parole comment il fait pour ne pas démissionner quand de telles images sont disponibles. Mais elle-même, après pareil simulacre de journalisme, comment ne démissionne-t-elle pas ? Quant à la réponse à la question « Comment est-elle maintenue en place ? », elle n’est plus un mystère, hélas ! Martichoux a fait son travail, consciencieusement. Mais pas de journaliste : de propagandiste. J’imagine qu’elle est très bien payée pour cela. C’est un soldat de première ligne.

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